Par Christian Malaurie (Université Bordeaux-Montaigne)
Introduction
Cet article s’inscrit à la fois au sein de la recherche théâtrale universitaire mais se veut aussi en prise directe avec l’histoire actuelle de la création théâtrale. Dans la période que nous vivons, que je qualifierai avec d’autres de période post-covid, la mise en œuvre de réflexions transdisciplinaires autour du thème : « La société au miroir du divertissement théâtral » est donc particulièrement pertinente. L’article que j’ai choisi de développer ici s’intitule « Le théâtre et la crise sanitaire : un divertissement (non) essentiel ». Fort du constat que, durant la période de la pandémie du SARS CoV-2 (2020-2021), les arts et la culture ont été classés par le gouvernement français au même titre que certains commerces, dans les domaines du « non essentiel », il me semble particulièrement intéressant d’analyser les types de conséquences que cette situation a entraînées dans le secteur culturel, et notamment pour les professionnels des arts de la scène, ceux-ci se retrouvant brusquement dans l’impossibilité de jouer leurs créations face à leurs publics.
L’art de la scène en tant qu’art du plateau n’existe que dans cette relation sociale très spécifique qui s’opère entre un collectif d’artistes et de techniciens investissant une scène à la fois matérielle et symbolique pour produire un objet dramatique sous la forme d’un jeu fictionnel, et un public de personnes concentrant, durant un temps donné, le regard sur « ce qui se passe » sur cette scène. Dans une perspective à la fois esthétique, poétique et politique, cet article entend répondre aux questions suivantes : depuis l’événement mondial de la pandémie du SARS CoV-2, qu’est-ce qui a changé dans le rapport du théâtre à la société ? Celle-ci en appelant une autre qui lui est liée : comment, au temps du néolibéralisme triomphant, la pratique théâtrale a-t-elle permis de faire surgir, dans cette période postcovid, de nouvelles « scènes de vérité » constituées d’énoncés de fiction et d’énoncés factuels, documentant la réalité sociale en train de se construire ?
Nous précisons ici, que la réflexion exposée dans cet article constitue moins le résultat final d’une enquête aboutie que le développement méthodique de pistes de réflexion sur la pratique théâtrale « documentant » la réalité sociale en train de se produire. Ajoutons aussi que cet article se situe dans le cadre plus général d’une recherche menée dans le domaine de l’anthropologie de l’art et du design au sein de l’UR ARTES entre 2020 et 2024, sur le thème « Impostures et Vérités en art(s) » qui a donné lieu à une première publication (Duret-Pujol, Malaurie, 2023), une seconde publication paraissant en octobre 2024 (Croix, Malaurie, 2024).
L’impact de la pandémie mondiale du SARS CoV-2 sur les conditions de production du spectacle vivant contemporain
Du point de vue historique, la pandémie constitue un bloc d’espace-temps particulier qui a transformé notre culture. Il y a un « avant covid » et un « après covid », et dans cet « après » émerge un nouvel espace-temps, que l’on peut qualifier de « période postcovid ». Celle-ci révèle des dysfonctionnements anciens nécessitant une réponse efficace de la part de l’autorité publique.
Rappelons que cette pandémie a concerné plus de 4 milliards d’habitants sur la planète, touché 676,6 millions de personnes, et fait au moins 6,9 millions de morts selon les données compilées par l’Université américaine Johns-Hopkins1, parmi les tranches d’âge situées entre 80 ans et plus, touchant de manière marginale les tranches d’âge moins âgées, la plupart des décès concernant les cas de comorbidité. De plus, la période de la pandémie a été marquée par une politique de confinements des populations menée par de nombreux gouvernements européens dont la France et la Belgique. Pour rappel : les populations ont subi trois confinements : un premier du 17 mars au 11 mai 2020 (55 jours) ; un deuxième du 30 octobre au 15 décembre 2020 (45 jours) ; un troisième du 3 avril au 3 mai 2021 (28 jours). Ces confinements ont mis à mal la liberté de création. Les politiques sécuritaires et autoritaires conduites ont entravé les libertés publiques (Stiegler, Alla, 2022), et ont remis en cause de manière durable le modèle culturel traditionnel d’exception culturelle qui prédominait jusque-là.
Sur le plan de la création théâtrale en France et dans les pays européens, les saisons 2019-2020 et 2020-2021 ont été fortement perturbées. Cela a entraîné un certain nombre de conséquences pour les artistes et les structures du spectacle vivant dans un contexte où la culture a été déclarée « non essentielle » par les gouvernements. Depuis lors, on a assisté à une inflexion historique des politiques culturelles qui a entraîné une précarisation plus accentuée des équipes artistiques, une diminution des productions et une diffusion en baisse des spectacles.
Une étude réalisée par L’Association des Professionnels de l’Administration du Spectacle (LAPAS) intitulée « Impact de la crise sur la réalité des équipes artistiques : création, diffusion, emploi » a été menée en partenariat avec les syndicats d’employeurs du Syndéac et du Synavi. Une enquête effectuée durant la saison 2023-2024 auprès de 315 équipes artistiques sur tout le territoire français, montre que la politique d’austérité culturelle mise en place par les gouvernements Macron devait engendrer pour la saison 2024-2025, une chute conséquente du nombre moyen de représentations et une diffusion en baisse des spectacles. Toujours selon cette étude, la mise en place en juin 2023 par le Ministère de la Culture du plan « Mieux produire, mieux diffuser » serait un échec. Rappelons que cette mesure visait à « réduire l’offre culturelle en créant moins de spectacles mais en les diffusant mieux ». L’étude précise aussi :
« entre la saison 2018-2019 et la saison 2024-2025, les compagnies qui diffusent plus de 100 dates par an passent de 7 % à 4 %, celles qui diffusent entre 50 et 100 dates de 22 % à 15 %, celles qui diffusent entre 20 et 50 dates par an de 39 % à 29 %. Cette baisse caractéristique du nombre de compagnies qui diffusent le plus leur spectacle vient amplifier le nombre des compagnies qui tournent moins de 20 dates par an, passant de 33 % sur la saison 2018-2019 à 52 % sur la saison 2024-2025». Cette baisse drastique fait craindre que cette situation ne perdure pour les saisons prochaines ». (Lapas, 2024)
Par ailleurs, un rapport du CESE (Conseil Économique Social et Environnemental), publié en mai 2023 sous le titre : Crise du secteur culturel (Rapport Moisselin, 2023), analyse la nature des conséquences de la pandémie du SARS CoV-2 sur le secteur culturel et en particulier sur la création artistique. Globalement, cette résolution fait le constat que : « déjà contraintes avant la crise sanitaire beaucoup de structures culturelles sont ressorties très fragilisées par les confinements et les mesures sanitaires restrictives » (Rapport Moisselin, 2023, p. 9). La question de leur pérennité se pose donc de manière aiguë aujourd’hui, menaçant le modèle culturel européen et en particulier français. Cependant, même si cette politique était insuffisante au regard des besoins du secteur elle avait tout de même permis : « une plus grande diversité des formes artistiques offertes aux publics » et « la diffusion de plus en plus élargie des créations sur les territoires ». Ce rapport insiste alors particulièrement sur la crainte de voir ressurgir dans la période actuelle « le syndrome d’une culture réduite par les gouvernements au rôle d’industries culturelles, dont les produits ont été qualifiés de « non essentiel » (Rapport Moisselin, 2023, p.5). On se souvient combien l’appellation de « non essentiel » avait été ressentie par les professionnels du spectacle vivant comme le symbole d’une forme de mépris envers eux, suscitant en retour de vives réactions de leur part et une mobilisation conséquente. Cette appellation était d’autant plus injuste que beaucoup de compagnies se sont efforcées pendant cette période d’inventer des formes inédites de spectacle2, pour rester en contact avec leurs publics tout en continuant coûte que coûte à travailler à leurs créations en cours. Se profile alors, dans la période que nous vivons, le risque d’un grave affaiblissement, dans la vie quotidienne des citoyens, de la place d’une certaine conception de la culture réduite aujourd’hui par le discours des marchés aux industries culturelles et créatives.
Qu’est-ce que l’essentiel quand la culture est réduite à un simple commerce ?
Pendant la période covid, l’appellation « essentiel » et « non essentiel » a induit une division sociale nouvelle entre ceux qui avaient le droit d’exercer leur métier, d’ouvrir leurs commerces, de se déplacer, et ceux qui ne l’avaient pas. Deux catégories d’acteurs sociaux ont alors été désignés : les acteurs « essentiels » et les acteurs « non-essentiels ». En imposant des règles qui scindaient en deux la société, les politiques confondaient « faire » et « être ». Il s’agit alors de comprendre pourquoi les notions de commerce « essentiel » et « non-essentiel » sont apparues opportunes à ce moment-là aux yeux des gouvernements européens, pour définir la place qu’occupent, dans la société, les productions culturelles, et en particulier, les productions du spectacle vivant. Pour analyser la teneur de l’appellation « commerce essentiel » appliquée au spectacle vivant, il faut rappeler le sens de chacun de ces termes. En ce qui concerne le vocable « commerce », la racine latine merx désigne la « marchandise » associée au préfixe com qui veut dire « avec », ou « ensemble ». Quant au vocable « essentiel », il vient du latin essentialis, qui veut dire « même sens ». Ce terme est dérivé de essentia, essence, « nature d’une chose ». Du point de vue philosophique, le terme « essentiel » relève de la métaphysique. Il évoque l’essence d’un être ou d’une chose par rapport à son existence. Une question alors se pose du point de vue métaphysique : l’essence réside-t-elle dans le genre dont la chose fait partie, ou fait-elle plutôt partie de la chose elle-même ?
Dans la pensée antique, notamment pour Platon, les essences existent bel et bien, certaines sont rares et d’autres ne le sont pas. Pour lui, les choses concrètes, sensibles, ne sont que des illusions, les reflets de leur concept abstrait comme l’illustre parfaitement la célèbre allégorie de la caverne (Platon, 1950, p.1102). Par contre, pour Aristote, les essences n’existent pas en tant que telles. L’essence (deutera ousia) correspond à un terme générique qui est second par rapport à telle ou telle chose qui existe dans le monde (protê ousia). Par exemple, l’humanité en tant qu’essence est seconde par rapport à tel ou tel homme qui existe dans le monde. Si l’essence d’une chose est pour Platon indépendante de toutes les qualités accidentelles particulières et changeantes qui en font un être singulier, pour Aristote au contraire, il existe une différence entre les propriétés accidentelles, occasionnelles et les propriétés essentielles, persistantes, ou éternelles d’un être. Aristote écrit : « Il ne doit y avoir participation d’un être avec les idées qu’en tant que cet être n’est pas l’attribut d’un sujet. » et il ajoute « ce n’est pas par l’accident qu’il peut y avoir participation des idées ; c’est par son côté substantiel que chaque chose doit participer d’elles » (Aristote, 1838, I, 991a, p.32 et suiv.). Sans engager ici un débat philosophique de fond3, nous pouvons nous interroger sur ce fait majeur qu’au nom d’une pensée métaphysique de l’essentiel, l’existence des pratiques de création, en particulier théâtrales, est mise à mal par les gouvernements néolibéraux. Que veut dire alors l’essentiel dans une société hypermédiatique où les consommateurs de produits culturels aiment tant visionner les contenus numériques diffusés en masse sur les écrans de toutes sortes ? La réponse est assez simple et à déjà été largement analysée depuis les années 1930. L’« essentiel » veut dire, dans nos sociétés, consommer toujours davantage pour pallier le manque. Cette incitation à la consommation provoque et entretient un malaise et est symptomatique dans une époque où l’expérience majeure est celle de l’accélération du temps social (Rosa, 2013). Par ailleurs, la révolution numérique nous embarque de plus en plus dans l’abstraction et le virtuel, enchaînant à toute vitesse des flots d’informations qui finissent par toutes se valoir, ne nous permettant plus de distinguer le « vrai » du « faux » dans un monde dominé par l’imposture généralisée. (Duret-Pujol, Malaurie, 2023).
Le discours des différents acteurs du secteur du spectacle vivant
La notion de discours est empruntée ici à Michel Foucault. Le discours dans sa définition foucaldienne (Foucault, 1971) recouvre un ensemble d’énoncés produits à une époque donnée (ici la période post-covid), qui contribuent à travers la performativité d’une prise de parole à la constitution de modes de subjectivation caractéristique de cette époque. Le discours c’est l’inconscient du politique dans le rapport individuel et collectif au savoir/pouvoir. Ainsi, depuis les années 1980, l’on voit surgir de toute part des « experts » qui nous expliquent à grand renfort de statistiques et de schémas divers, comment, dans notre société, le spectacle vivant doit s’organiser rationnellement pour continuer à perdurer. Analyser les discours4 des différents acteurs sociaux permet de mieux comprendre comment, à une époque donnée, au sein d’un champ social donné (en l’occurrence ici le champ culturel et artistique), un régime de vérité5 structure les rapports de force entre les acteurs. Chacun d’eux fonde la légitimité des actions qu’il réalise sur le crédit d’une vérité le conduisant à donner du sens à ses pratiques. Dans le contexte du moment post-covid, concernant le secteur du spectacle vivant, s’affrontent plusieurs types de discours produits par les différents acteurs sociaux, révélant la matérialité et le sens des pratiques effectives qui animent le champ artistique et culturel.
Si le discours des États européens membres de l’UE se fonde sur le crédit d’une vérité institutionnelle, celui des organisations professionnelles et des syndicats d’employeurs du secteur public est d’une teneur différente selon la position qu’occupe chaque organisation au sein du champ culturel et artistique. Pour exemple, si le discours du Syndeac est basé sur une vérité revendicatrice qui se montre ambiguë envers le pouvoir de l’État et des collectivités locales, le discours du Synavi repose sur une vérité militante qui se veut alternative aux décisions des autorités institutionnelles. Concernant le discours tenu par les syndicats professionnels de salariés du spectacle vivant et en particulier par la CGT Spectacle, syndicat le plus puissant et le plus actif intervenant très fréquemment dans l’espace public, sa vérité est construite à partir d’une vérité militante radicale inscrite dans l’histoire de la République française et ayant pour objectif l’émancipation des citoyennes et des citoyens.
Le discours institutionnel des états européens membres de l’UE. Le cas français
Un rapport d’étude commandée par la Commission Européenne portant « Sur la situation des artistes et la reprise culturelle dans l’UE » et réalisé sur la période 2019-2024 par Monica Semedo constate qu’au moment où :
« les pays européens déploient des solutions d’urgence inédites pour relever les défis auxquels sont confrontés les systèmes de santé publique et de sécurité sociale dans l’ensemble de l’Union européenne, de nombreux artistes et travailleurs des SICC sont en difficulté. Il faudra peut-être des décennies pour se remettre de cette perte pour l’industrie culturelle européenne ». (Rapport Semedo, 2024, p.18)
Le texte est ici révélateur de la situation post-covid, il montre clairement que la crise sanitaire a provoqué un choc en Europe en touchant tous les secteurs de la société et en remettant brusquement en question le mode de vie qui jusque-là prévalait au sein de beaucoup d’États membres. Au moment où le système néolibéral, prônant une politique d’austérité budgétaire et une politique de l’offre réussissait à infléchir les politiques économiques menées, les États ont dû prendre des mesures nécessaires pour préserver tout à la fois les systèmes de santé publique et la sécurité sociale, et apporter une aide conséquente au secteur culturel particulièrement impacté par la crise. Le discours tenu dans ce rapport révèle aussi clairement comment les États membres conçoivent aujourd’hui les pratiques culturelles et de création, qui se doivent d’être pensées dans la dynamique économique des industries culturelles et créatives. L’acronyme SICC (Secteurs et Industries de la Culture et de la Création) dit tout de cette conception. Ajoutons que cela ne signifie pas pour autant que toute prise de conscience pour sortir de ce paradigme est impossible. En avançant que « la culture joue un rôle central dans notre société » (Rapport Semedo, 2023, p.11), le rapport Semedo propose une série de recommandations adressées aux États membres, les incitant à :
« continuer d’élaborer et d’assoir le cadre de politique industrielle relatif à l’écosystème des SICC pour en faire une stratégie cohérente, compétitive et à long terme afin de renforcer leur compétitivité et leur valeur stratégique pour l’économie européenne et le mode de vie européen, et de leur permettre de réaliser leur potentiel en matière de création d’emplois et de croissance ; insiste sur le potentiel des SICC en matière d’emploi des jeunes et de réindustrialisation et note, en particulier, l’ouverture de nouvelles perspectives pour les jeunes engendrée par l’environnement numérique dans les SICC ». (Rapport Semedo, 2024, p. 11).
Sans surprise, le discours employé ici est celui de l’expertise économique et est très révélateur du point de vue à partir duquel les pratiques culturelles sont perçues par les instances européennes. Tout est clairement exprimé, la « situation » évoquée est construite en tant que situation d’un secteur industriel perturbé par un événement sanitaire qui met en danger son équilibre économique. Ajoutons, que la résolution invitait aussi la Commission à :
« proposer un statut européen de l’artiste fixant un cadre commun pour les conditions de travail et des normes minimales communes à tous les pays de l’Union, tout en respectant pleinement les attributions des États membres et de l’Union concernant le marché du travail et la politique culturelle, par l’adoption ou l’application d’un certain nombre de principes directeurs cohérents et complets en ce qui concerne notamment les contrats, les modes de représentation et de gestion collectives, la sécurité sociale, l’assurance maladie et chômage, les régimes de pension, la fiscalité directe et indirecte, les obstacles non tarifaires et l’asymétrie des informations. » (Rapport Semedo, 2014, p. 14)
On voit ici, combien ce cadre de pensée technocratique, même s’il essaye de normaliser le métier d’artiste en offrant une protection accrue aux professionnels, est dépendant d’une vision purement économique de l’art et de la culture comme industrie. Le discours de l’UE, conduit par la logique de pensée du régime de vérité néolibéral, légitime ici une conception de l’art qui s’inscrit dans les industries créatives. Si l’on se place alors au plan sociohistorique, en corrélant politique publique de la culture et nécessité économique, ce discours institutionnel opère une révolution en profondeur concernant le sens du travail de l’artiste en Europe. En effet, le champ culturel et le champ artistique ne sont plus ici pensés comme producteurs de valeurs autonomes, par exemple de la liberté de l’imaginaire mise au service de l’émancipation citoyenne, mais se trouvent intégrés dans la vérité économique d’États se donnant comme objectif majeur le développement de marchés, en l’occurrence ici, le développement du marché des industries culturelles et créatives.
Face, mais le plus souvent avec, les États et les collectivités territoriales, les syndicats des employeurs publics du spectacle vivant tentent d’influer sur les politiques menées, essayant de tirer parti des situations conflictuelles dans lesquelles sont impliqués leurs adhérents. Dans le cas de la crise majeure du spectacle vivant, à la fois pendant la crise sanitaire et dans l’espace-temps post-covid, il s’agit de comprendre à partir de quels arguments, et sur quels fondements de vérité ils produisent leur discours.
Le discours des organisations professionnelles et syndicales d’employeurs du secteur public de la culture
Deux syndicats majeurs regroupent aujourd’hui les employeurs culturels en France : le Syndeac6 qui représente en France les grandes structures culturelles de spectacle vivant et le Synavi7 représentant le « tiers théâtre ».
Le 16 février 2024, le président du Syndeac adressait aux députés et sénateurs des commissions culture une lettre d’alerte intitulée : « Crise structurelle du spectacle vivant public et propositions pour en sortir : le Syndeac au travail avec les élus » dont voici des extraits :
Nous voyons deux pistes de réflexion auxquelles nous souhaitons vous associer : la première n’est pas nouvelle : il s’agit de doter le programme 131 – Création de crédits supplémentaires dans le cadre d’une loi de finances rectificative. La loi de finances 2024 – comme les précédentes – ignore en effet totalement la réalité que nous venons de décrire, débloquant seulement 9 millions d’euros pour un nouveau Plan (“Mieux produire, mieux diffuser”) s’appliquant à l’ensemble des acteurs du spectacle là où les besoins pour le seul périmètre de nos membres s’élèvent à plus 50 millions d’euros – hors négociations salariales qui s’imposent pourtant et dont les conséquences financières sont particulièrement importantes.
La seconde piste, quant à elle, est entièrement concentrée sur les collectivités territoriales. Afin de consolider leurs budgets et leurs engagements de politique culturelle, nous soumettons l’idée de la mise en place d’une mission confiée à un parlementaire – accompagné des services de la Cour des comptes – pour expertiser le déploiement de la DGF au service des collectivités portant des ambitions réelles en faveur de la culture. Nous travaillons avec toutes les associations d’élus sur ce sujet pour que des solutions budgétaires soient trouvées dans la perspective de la loi de finances 2025.
Le discours du syndicat représentant les plus importantes structures du spectacle vivant en France se montre ici à la fois technocratique, par une demande d’expertise faite aux autorités, mais aussi faiblement revendicateur car il se limite à quémander des financements encore plus importants à l’État et aux collectivités locales, face à une situation économico-financière devenue très préoccupante. En s’adressant à l’État et aux collectivités territoriales, leurs principaux bailleurs de fond, et en employant un vocabulaire technique administratif et financier, cette lettre d’alerte ne propose pas d’alternatives pour pallier la situation présente, mais seulement l’augmentation de financements pour faire perdurer l’existant. On peut se demander alors quelle est la stratégie menée ? Ou faut-il supposer que, disposant de budgets conséquents, d’une reconnaissance sociale certaine, tout en bénéficiant du prestige d’une carrière aboutie, les membres de ce syndicat adoptent une attitude revendicative assez complaisante vis-à-vis du pouvoir ?
Le Synavi, quant à lui, organisait durant la période covid, le 10 décembre 2020, l’Acte I des « Assises du Tiers-Secteur de la création indépendante ». Dans le prolongement de ces assises, il initiait une série de rendez-vous tout au long de l’année 2021, avec comme fil rouge la question : comment remettre les compagnies et lieux intermédiaires du tiers-secteur du spectacle vivant au cœur du débat, au cœur des dispositifs et au cœur des politiques publiques de la culture de l’État et des collectivités ? Le 8 juin 2023, le syndicat appelait à un « Soulèvement des compagnies ». Comme l’indique le Manifeste :
« Parlons-en du monde d’après !
Le gouvernement déclare « Il nous faudrait ralentir, en finir avec la surproduction et son corolaire : l’obsolescence programmée. Dit comme cela, nous ne pouvons que consentir à l’œuvre générale » :
Sauf que le modèle de décroissance prescrit consiste en une régulation des productions et une concentration des pouvoirs et des richesses sans aucune modification du logiciel.
[…]
Comment construire une politique du spectacle vivant durable sans saisir le formidable enchevêtrement des projets artistiques qui dialoguent avec les territoires et s’infusent mutuellement ?
[…]
Nous ne disons pas « l’artiste est au plateau ».
Nous ne disons pas le public, nous disons les gens.
Nous ne disons pas l’accès des publics, nous disons l’exercice des droits culturels.
Nous ne disons pas mutualisation et économie d’échelle, nous disons coopération et écologie du lien.
Nous ne disons pas « produire moins, diffuser mieux », nous disons l’infusion artistique, le temps long, les tournées raisonnées, les résidences de territoire.
Nous ne disons pas la « production déléguée », nous disons les moyens de production et de diffusion aux producteurs.
Nous disons la liberté de création, l’autodiffusion, le soutien aux lieux intermédiaires et indépendants.
Nous disons la diffusion et la rencontre publique en tous lieux.
Nous en appelons à un soulèvement des compagnies, à un soulèvement des équipes artistiques, à un soulèvement des collectifs qui composent les lieux indépendants et non dédiés ».
Ce manifeste se révèle très intéressant car, tout en empruntant une rhétorique militante traditionnelle, il cherche aussi à être pédagogique et créatif en tant que discours militant, alternatif au discours du pouvoir. La traduction de formules employées dans les textes officiels permet de mettre en œuvre une autre manière de penser un problème particulier. Ainsi, par exemple, la formule : « l’artiste est au plateau » devient, « nous disons le plateau est partout où il y a jeu », ou encore la formule : « mutualisation et économie d’échelle » devient « coopération et écologie du lien », tandis que « production déléguée » devient « les moyens de production et de diffusion aux producteurs »…
Un autre document produit par le Synavi, publié le 05/07/2024, c’est-à-dire durant la première semaine du Festival d’Avignon in et off, est particulièrement révélateur du type de discours que ce syndicat construit au nom d’une vérité militante généreuse et humaniste préoccupée de l’émancipation des citoyens. Le texte est produit sous la forme d’un communiqué. Comme le montre cet extrait, le propos est relatif aux résultats des élections législatives anticipées qui voyaient en France la progression spectaculaire du RN en nombre de députés élus :
« Les idéologies d’extrême droite ne prospèrent pas uniquement dans un climat de colère, elles se développent aussi à partir d’un besoin de simplification, d’un sentiment d’impuissance et d’isolement. L’extrême droite déteste la complexité. L’extrême droite déteste le dialogue et le débat. C’est pourquoi nous devrons nous battre et nous nous battons déjà contre les censures, contre les atteintes à la liberté de création, contre les tentatives d’instrumentalisation qui ne cessent de se multiplier et qui s’accentuent dans des systèmes de concentration des moyens et de stratégies d’influence.
C’est pourquoi nous devons dialoguer et débattre, non pas depuis nos statuts – d’artistes, de syndicalistes, d’employeurs, de représentant.es de – mais depuis une démarche. Celle d’aller à la rencontre de la culture et des références de l’autre, en respectant ses limites et son intimité, en questionnant sa manière d’être au monde et la nôtre en retour, en se fréquentant. En prenant le temps de nous installer un peu en dehors des injonctions à produire et à diffuser.
Il y a de la culture dans les banlieues et les quartiers prioritaires, il y a de la culture dans les villages, dans les bourgs et dans les vallées enclavées. Il y a de la culture partout où on veut la voir et l’écouter. C’est de l’ignorer qui la restreint à elle-même et la condamne à l’exclusion. C’est de l’ignorer qui agite la peur et la colère […].
Disons-le, notre système […] est avant tout menacé par ce qu’il produit : par les inégalités qu’il creuse, par l’absence de limites des profits qu’il génère, par les catastrophes climatiques qu’il ignore, par les concentrations de pouvoir qu’il organise, par le temps qu’il fragmente, par les boulevards qu’il ouvre en grand à la propagande populiste de la peur de l’étranger, de la stigmatisation de la différence, de la vision réactionnaire de la place des femmes dans notre société. […]. »
Le contraste entre les discours de ces deux syndicats d’employeurs appartenant au secteur public est ici marquant. Représentant de structures moyennes dirigées par des petites équipes fortement implantées dans un territoire, le Synavi structure un discours revendicatif autant politique que syndical, virulent mais sans être fermé à des pratiques renouvelées. Employant les verbes d’action « se battre », mais aussi « dialoguer », « débattre », ce discours essaye d’échapper à l’emprise du discours institutionnel préoccupé avant tout par la légitimation des statuts accordés aux acteurs sociaux du spectacle vivant selon une hiérarchie définie en fonction des intérêts de la classe dominante à partir du jeu officiel de la représentation démocratique. En évoquant la nécessité de s’appuyer sur une démarche fondée sur la reconnaissance de l’autre, d’accepter d’être altéré, ce discours prend une épaisseur insoupçonnée très intéressante, même si l’on peut douter de sa performativité eu égard à sa position dans le rapport de force mené avec l’État et les collectivités territoriales.
Notons ici, la particularité du champ culturel et artistique du spectacle vivant du secteur public où un certain nombre d’acteurs possède un double statut, à la fois un statut d’artiste et un statut d’employeur. Ce sont en effet des artistes qui dirigent systématiquement les Théâtres Nationaux et les Centres Dramatiques Nationaux.
Le discours des syndicats et des associations professionnelles d’employeurs du secteur privé8
Le SNDTP (Syndicat National Du Théâtre Privé) créé en 1936, regroupe un très grand nombre de propriétaires de théâtres privés et de salles de spectacles mais aussi de producteurs-tourneurs. On peut lire sur son site officiel :
« Depuis sa création en 1936, le Syndicat National du Théâtre Privé a œuvré pour structurer le secteur et négocier des accords collectifs précurseurs. Le Syndicat National du Théâtre Privé et l’ensemble des organisations patronales et syndicales ont négocié ce qui est devenue la Convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant (IDCC3090), entrée en vigueur le 1er juillet 2013 et qui s’est substituée à la Convention Collective Nationale du Théâtre Privé de 1977 ».
Préoccupé surtout de fiscalité et d’aides publiques, les propriétaires de théâtres privés et les producteurs-tourneurs se cantonnent avant tout à un discours commercial, et à employer des professionnels du spectacle qui puissent remplir leurs salles. Leur discours conformiste, énoncé par l’intermédiaire des instances du SNDTP, contraste fortement avec le discours à connotation politique des directeurs de théâtre dans le secteur public qui ont aussi le plus souvent le statut d’artistes reconnus, membre de réseaux artistiques et culturels puissants et placés à la tête de ces institutions (plus ou moins prestigieuses) par le Ministre de la Culture en concertation avec les collectivités locales des territoires concernés. Évidemment, la nécessité d’une bonne gestion financière imposée aux propriétaires des théâtres privés (qui sont aussi rappelons-le subventionnés en partie par l’État) appelle à une organisation du travail artistique rentable. Par contraste, la mise en œuvre des productions financées très largement par l’argent public dans le secteur du théâtre public implique un tout autre fonctionnement des équipes artistiques.
Un autre acteur dans ce secteur, l’ASTP (Association pour le soutien au théâtre privé) créée en 1964, joue un rôle très important en France. Placée sous la tutelle du Ministère de la Culture et de la Ville de Paris, l’ASTP est investie d’une mission de service public. L’ASTP a été l’opérateur, à la demande du ministère de la Culture, des fonds d’urgence et de compensation liés à la crise sanitaire et au Plan de Relance. Près de 45 M€ financés par l’État ont été ainsi distribués à la filière théâtrale depuis 2020. Le discours de l’ASTP, interlocuteur privilégié de l’État concernant le secteur du théâtre privé, diffère considérablement du discours traditionnaliste qui jusqu’à présent prédominait dans le secteur privé. En appelant notamment les théâtres privés à se soucier de leurs publics, à s’intéresser à la jeune création, à participer activement à l’Éducation Artistique et Culturelle, le discours de l’ASTP bouscule les frontières qui séparaient jusque-là le public et le privé.
Pendant la période de la pandémie, l’association, vu les missions qui lui ont été confiées par l’État, a été amenée à gérer les fonds d’aide publique alloués au théâtre privé : le FCSVP et le PASVT. Elle a donc été en première ligne pour prendre conscience et s’interroger sur les conséquences de la crise covid pour le spectacle théâtral. Dès la saison 2022-2023, l’ASTP s’attelait, sous l’impulsion de l’État, à initier de nouvelles collaborations entre le réseau public et le réseau privé. Faisant le constat que « le public n’est pas vraiment revenu et que les recettes de billetterie sont en berne » l’association appelait ses adhérents à « renouveler le lien avec leur public par une fonction de community manager ». On notera ici l’emprunt au vocabulaire anglo-saxon de la communication web liée aux réseaux sociaux. Et l’on mesurera la révolution fondamentale qu’est amené à opérer aujourd’hui le théâtre privé dans ses modes de gestions mais plus largement dans sa conception du théâtre comme divertissement. Implantée historiquement à Paris au moment où la capitale concentrait presque la totalité des théâtres privés (l’organisation a été créé en 1964), l’ASTP s’ouvre actuellement à toutes les régions. Si l’on consulte alors le rapport d’activité 2022 de l’ASTP9 on peut lire :
L’ASTP a poursuivi de manière très volontariste en 2022 les travaux d’ouverture nationale de ses dispositifs de soutien économique, en lien avec les théâtres privés de région, les partenaires sociaux et les organismes de gestion collective. Objectif : rendre accessibles ses systèmes d’aides aux théâtres producteurs de spectacles, où qu’ils soient sur le territoire. Ce travail a abouti fin 2022 et a été acté dans le cadre des instances du 1er février 2023, en vue d’une application à la saison 2023-2024 […]. Le bénéfice attendu de l’évolution de ces dispositifs est une réelle capacité à structurer la filière théâtrale privée sur les territoires : Renforcement des écosystèmes locaux, avec le développement de coproductions impliquant les théâtres privés producteurs et les compagnies implantées sur place ; Diversification de l’offre pour les publics ; Amélioration de la situation professionnelle et sociale des artistes et techniciens par l’augmentation du nombre d’heures travaillées ; Diffusion des spectacles sur une plus longue durée, avec un bénéfice pour les publics et l’attractivité des territoires. (ASTP, 2022, p. 30)
Le discours de l’ASPT est donc clair et emprunte directement à une conception néolibérale de l’art et de la culture qui demande à l’État de participer directement au développement des marchés. Il s’agit alors pour le discours du marché du spectacle vivant d’apparaître ouvert à des préoccupations relevant de l’intérêt général, tout en faisant bénéficier la filière d’une meilleure connaissance des publics grâce au savoir-faire du marketing. Mais de quels publics parle-t-on vraiment dans ces enquêtes ? De publics de sujets citoyens ou d’individus consommateurs ?
En 2022, l’Association pour le soutien du théâtre privé lançait avec « Médiamétrie » sa première enquête auprès des Français portant sur leur rapport « post crise sanitaire » avec le théâtre. Les résultats soulignaient alors l’impact majeur des confinements et de l’arrêt de l’activité des salles de spectacles sur les habitudes des publics en matière de consommation de la culture. Après avoir réitéré une autre enquête en 2023, l’ASTP publiait le jeudi 20 juin 2024, la troisième édition de son étude « Les Français et le Théâtre » qui interrogeait les pratiques en termes de « sortie au spectacle théâtral ». On le voit, une insidieuse modification des frontières privé/public est en train de bouleverser l’organisation théâtrale en France.
Le discours singulier d’artistes professionnels du secteur public dans la période covid et post-covid
Une synthèse des discours construits par les artistes et les techniciens professionnels du spectacle vivant sur la situation inédite créée par la pandémie est impossible à réaliser. Mais tentons tout de même de constituer une sorte de typologie (un peu grossière) des problématiques pertinentes soulevées par les artistes et les techniciens du spectacle vivant pendant la période covid et qui se posent pour eux encore aujourd’hui dans le moment post-covid.
Les principales questions formulées par les professionnels sur leur activité concernent à la fois : le sens de leur appartenance au monde de l’art, et leur volonté de remettre en cause la normalisation de leurs production imposée par les industries culturelles et créatives. Si l’on consulte par exemple la pétition « Culture en danger »10 rédigée sous la forme d’une lettre ouverte que fait circuler Jean-Claude Fall, le 14 avril 2020 (signée par plus de 60000 personnes) mais aussi la tribune publiée dans Le Monde, le 30 avril 2020, intitulée « Monsieur le Président, cet oubli de l’art et de la culture, réparez-le ! » (signée par 230 personnalités du monde du spectacle), une série de questions apparaît : quelles sont les dimensions visibles et invisibles du travail de l’artiste ?, quelles spécificités doivent posséder les lieux où sont accueillies les productions artistiques ?, comment trouver les moyens de remettre en cause les contraintes de plus en plus nombreuses imposées par les institutions publiques aux compagnies, contraintes calquées sur les industries culturelles et créatives ?, quel sens esthétique et politique donner aux œuvres produites ?
En effet, si le travail de mise en scène, de scénographie, de direction d’acteur, de dramaturgie est visible pour les publics du spectacle vivant, le travail de montage de dossier, de management d’une équipe, de diffusion, de médiation, d’éducation artistique auprès des jeunes (scolaires, collégiens, lycéens et étudiants), ainsi que la conduite de stage de formation à destination des jeunes professionnels restent invisible pour la plus grande part des spectateurs de théâtre. Concernant les espaces où le « théâtre a lieu », les artistes revendiquent la possibilité de pouvoir dialoguer avec les responsables de ces espaces. Il s’agit pour eux d’avoir la possibilité d’habiter le lieu, de faire-lieu pour déborder ce qui attendu par la norme. C’est l’habitabilité des endroits où se pratique le théâtre qu’il leur importe de questionner. Dans leur pratique de création, ils désirent tenir compte des liens noués avec les animateurs du lieu et les publics de spectateurs qui le fréquentent. Il existe clairement pour eux une difficulté majeure imposée par le fonctionnement du système de diffusion théâtral, qui les empêche de proposer un autre rapport au lieu de spectacle. Leur objectif est de pouvoir instaurer un autre rapport au public, moins consumériste.
Une tribune dans Le Monde signée par plus de 200 artistes et scientifiques paraît le 30 avril 2020 sous l’intitulé « Non à un retour à la normale ». Elle dénonce l’inaction des dirigeants et appelle à la mobilisation :
« La transformation radicale qui s’impose – à tous les niveaux – exige audace et courage. Elle n’aura pas lieu sans un engagement massif et déterminé. A quand les actes ? C’est une question de survie, autant que de dignité et de cohérence. »
On le voit encore, les préoccupations des artistes tournent autour d’un désir d’agir concrètement face à une situation qui met en danger leur « survie » en tant qu’artistes du spectacle vivant. Si l’on peut synthétiser les propos tenus dans les différentes initiatives prises, les artistes s’interrogent sur :
- Les temporalités du faire artistique imposées par le système de production artistique, l’obsolescence quasi-programmée des productions étirées par un discours productiviste les incitant à créer toujours plus de spectacles dans un temps de plus en plus court.
- La possibilité de trouver un mode de production qui puisse respecter la temporalité de chacun, prendre en compte les diverses temporalités qui constituent le faire artistique pour essayer d’échapper aux rythmes de création imposés par les modes de production néolibéraux.
A partir des propos tenus, on observe que les artistes désirent créer une esthétique théâtrale qui puisse se détacher des règles du « bon goût » établies par le système institutionnel, tout en pouvant exercer une vigilance accrue face aux injonctions de plus en plus nombreuses qui formatent les formes artistiques afin de les rendre « post-corona-compatibles ».
Le lieu théâtral apparaît aussi comme une problématique récurrente pour les artistes. Conçu comme espace pratiqué, il ne peut s’envisager qu’à partir de la mise en relation entre le travail artistique, les publics, et les habitants. Il s’agit avant tout de ré-inventer des formes de représentations avec et en dehors de lieux traditionnels dédiés à la pratique du spectacle vivant, d’investir des espaces extérieurs, de relocaliser les espaces de représentation, de travailler sur les liens entre artistes et lieux dans un enjeu de proximité, de produire du théâtre clandestin, de faire la tournée des maisons, de travailler sur des petites jauges dans des espaces non scéniques, d’occuper les lieux sans accueil de public ou avec peu de publics. Il s’agit aussi de partir de gestes non théâtraux, de gestes autres que ceux des artistes, de travailler avec l’ordinaire pour aller vers la population et non seulement vers le public. Plus fondamentalement, il s’agit d’œuvrer à une démocratisation et démocratie culturelle d’une autre nature que celle qui existe aujourd’hui. Pour cela, il faut œuvrer à élargir les publics du théâtre-lieu, à mobiliser de nouveaux gestes pour sortir de la dichotomie dans/hors le théâtre, mettre la rencontre en avant, au cœur des projets. Même si ces propositions sont riches d’enseignement, elles n’en demeurent pas moins le creuset de tensions, qui renvoient à des dysfonctionnements parfois structurels, que la Covid est venue réveiller /révéler. On voit alors que produire du sens sur leur activité professionnelle, c’est pour les professionnels interroger à la fois la nature des lieux qu’ils investissent dans le cours de leur travail et les publics fréquentant ces lieux.
Une cartographie précise de leurs positions d’énonciation est difficile à réaliser sinon à penser. Pour nous, aujourd’hui plus que jamais, le spectacle vivant ne peut se penser qu’en tenant compte du Territoire et des Territorialités qui le composent et le recomposent au gré des mouvements de l’histoire.
Ajoutons que si, traditionnellement, l’événement spectaculaire est toujours situé par le nom propre d’un théâtre, d’une salle de spectacle, d’un espace culturel ou d’un site aménagé à cet effet, c’est-à-dire à partir du nom de l’équipement qui accueille le spectacle, la manière d’instaurer une épaisseur artistique pour ce spectacle en tant qu’œuvre constituant un faire lieu n’est jamais ou peu interrogée alors qu’elle constitue une question fondamentale telle qu’elle a été suscitée chez les professionnels pendant la crise covid.
Des pistes de recherches pour penser le spectacle vivant dans le moment post-covid
S’il est impossible de prétendre définir avec précision les « grandes tendances » de la scène contemporaine, les éléments présentés ici livrent des pistes intéressantes pour une analyse à mener plus avant. Nous avancerons alors que les questions les plus récurrentes posées dans la période post-covid peuvent être formulées comme suit :
- Qu’est-ce que ces spectacles nous disent du monde social, directement ou indirectement ?
- Quels rapports entretiennent-ils avec la doxa et avec les discours dominants ?
- Comment les artistes envisagent-ils les formes qu’ils mettent en jeu, ainsi que la relation vivante et sensible aux spectateurs et aux spectatrices ?
- Comment réinventent-ils des manières de percevoir et de sentir ?
- Comment montrent-ils la nécessité de se réunir dans les salles pour présenter des spectacles, face au bruit médiatique, aux injonctions et aux contraintes néolibérales et après avoir été déclarés « non essentiels » lors de ce que le pouvoir a nommé la « crise covid » ?
Précisons aussi qu’il faudrait se demander en quoi l’événement covid a provoqué dans le domaine artistique, et au-delà du seul spectacle vivant, un « choc esthétique » majeur. Celui-ci doit nous conduire à penser aujourd’hui la question du rapport à la représentation dans les créations contemporaines. Georges Balandier, au début des années 2000 dans un livre précurseur souligne l’importance de cette question. Anthropologue spécialiste de l’Afrique, mais aussi théoricien du politique, il écrit, dans un ouvrage devenu un classique, Le pouvoir sur scènes, ce que travail de recherche vise à être :
« une contribution propice à la reconnaissance des éléments symboliques et imaginaires des processus dramatiques et des jeux d’apparence, qui sont à l’œuvre dans le gouvernement de toutes les sociétés et dans les façons dont celles-ci assument leur présence à l’Histoire ». (Balandier, 2006, p. 13)
Dans ce livre essentiel, on sent l’inquiétude qui traverse Balandier au regard de la reconfiguration de l’espace politique qui s’opère dans les années 1980-90, notamment par l’envahissement scénique des médias au moment où « le pouvoir découvre que sa légitimité dépend de la capacité des gouvernants à communiquer, à agir sur les facteurs d’opinions » (Balandier, 2006, p. 16). L’anthropologue comprend que le système de pouvoirs, en trafiquant, puis en simulant l’expérience vécue ordinaire, a transformé profondément les espaces du symbolique et du sacré destinés jusque-là à établir des limitations, à permettre de différencier pour chaque citoyen l’imposture ou la vérité des énoncés. Pour Balandier, ce que les médias appellent « opinion publique » désigne en réalité un discours de plus en plus trafiqué par les professionnels de l’information, au service des pouvoirs en place. L’auteur s’inquiète alors, non de ce que l’on appelait traditionnellement la théâtralité du pouvoir, mais de la fabrication par les techniques de communication de ce que je nommerais la dramaturgie de l’ordinaire, destinée à éloigner le sujet-citoyen de la conscience et de la valeur de son expérience vécue.
Aujourd’hui, à l’heure de la révolution numérique où les GAFAM sont devenus les meilleurs supports-espaces d’énonciation du discours des marchés, nous assistons à la production mondialisée des fake news qui permettent de moins en moins au spectateur-regardeur de contenu hyper-spectaculaires de distinguer les énoncés fictionnels des énoncés factuels. Il semble alors presque impossible pour le sujet citoyen devenu individu-consommateur, souffrant par ailleurs de cette situation en tant que sujet singulier, de pouvoir produire un discours critique lui permettant d’opérer une distinction rationnelle entre les catégories du vrai et du faux.
La mise en place de la société de l’hyperspectacle a accéléré et amplifié l’effondrement de l’ordre symbolique dit démocratique, déjà mis à mal par la société du spectacle. Dans les pratiques de consommation, (notamment des biens symboliques dits culturels ou créatifs) le pouvoir n’est pas souverain mais il s’exerce de plus en plus efficacement par l’intermédiaire des écrans. La mise en images audiovisuelles des discours-vrai vingt-quatre heures sur vingt-quatre tous les jours de l’année exerce des contraintes violentes sur l’image du corps des sujets. Ces sujets étant alors de plus en plus éloignés du souci de soi-même et de moins en moins enclins à prendre la parole de manière critique. Nous pensons alors (mais ceci reste à préciser très largement) que le geste du « peu » peut constituer un geste de résistance car il établit en acte une pratique critique pouvant remettre en cause l’injonction consommatrice de la société de l’hyper-spectacle.
A la mise en place mondialisée de produits créatifs chargés d’entretenir en permanence l’ambiance marchande de l’hyper-spectacle, les artistes opposent leurs univers de créations, d’où émergent de nouvelles scènes de vérité perturbant l’hyper-spectacle permanent. Il faudrait alors pouvoir montrer en détails, comment les jeux d’imposture fictionnels proposés par les créateurs permettent de mieux prendre conscience des stratégies d’imposture qui opèrent à travers une simulation généralisée de l’expérience vécue. Plus que jamais aujourd’hui, au moment où s’effondre l’ordre symbolique occidental, il s’agit de trouver les formes nouvelles pour qu’une révolution symbolique au sens de Bourdieu puisse inaugurer un avenir vivable en occident.
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L’auteur
Christian Malaurie, poète, dramaturge, a enseigné l’anthropologie de l’art et du design à l’Université Bordeaux-Montaigne à UFR Humanités. Il est chercheur honoraire HDR, membre du Laboratoire Artes (UR24141) de l’université Bordeaux Montaigne. Ses recherches portent sur les rapports entre l’art, le design, les médias et le territoire. Auteurs d’une cinquantaine d’articles de recherches sur l’esthétique de l’ordinaire, il a publié récemment l’ouvrage Impostures et Vérités en Arts, co-dirigé avec Marie Duret-Pujol, aux Presses Universitaire de Bordeaux Montaigne, collection ARTES, Pessac, 2023 ; co-dirigé plusieurs numéros de revue : Faire avec le milieu : Art, Design et médialités du paysage avec Claire Azéma, Revue Design, Arts, Média n°5, en 2023 ; Discours et vérité. Psychanalyse et analytique foucaldienne, avec Laurence Croix, Revue Cliniques méditerranéennes n°110, 2024. Il est notamment l’auteur de : La carte postale, une œuvre aux éditions de l’Harmattan (2003) ; Mémoire entre les voix co-écrit avec Eric Bonneau, aux éditions LPDA (2005) et L’ordinaire des images. Puissance et pouvoir de l’image de peu, publié dans la collection « Nouvelles Études Anthropologiques » en 2015, également aux éditions L’Harmattan.
1 https://www.budget.gouv.fr/documentation/file-download/21390
2 Nous pensons à Thomas Jolly, alors directeur du Centre dramatique national Le quai d’Angers.
3 Pour Spinoza, s’interroger sur l’essence d’une chose c’est « comprendre que la présence pose nécessairement la chose ». L’essence est « ce sans quoi la chose, et inversement ce qui sans la chose ne peut être, ni se concevoir. » (Spinoza, l’Ethique, chapitre II définition 2). Locke, dans Essais sur l’entendement humain avance que « l’essence réelle d’une chose particulière est ce dont dépendent ses propriétés et qualités ». Pour Kant, l’interdit de la chose en soi exclut que l’on veuille atteindre. Il écrit dans Critique de la raison pure « les véritables essences des choses », « Car ce que la science vise, c’est l’objectivité ». Nous allons au réel armé de nos concepts, mais nous n’approchons pas les essences ni dans un cheminement ascensionnel et ascétique ni dans un dévoilement, aussi originaire soit-il. Quant à Nietzsche, il avance que le « devenir n’admet aucune réalité stable », car « l’idée d’un être immuable » est contradictoire, et que « ce que l’on nomme essence n’est qu’un agrégat éphémère de forces ». La conséquence de la négation de l’essence est donc l’affirmation de la seule existence.
4 Nous faisons ici la distinction entre la méthode de l’analyse de discours initiée par Michel Pêcheux à partir de la pensée d’Althusser et de Lacan et développée notamment par Dominique Maingueneau, et le concept de discours tel qu’il a été développé dans son œuvre par Foucault, bien que plusieurs de ses concepts, notamment le concept de « formation discursives » ait été repris dans la méthode de l’analyse de discours (Maingueneau, 1991).
5 Dans la retranscription de la leçon orale du 6 février 1980, qui s’inscrit dans « Du Gouvernement des Vivants », Foucault propose la définition suivante : « Un régime de vérité, c’est donc ce qui contraint les individus à [des] actes de vérité, ce qui définit, détermine la forme de ces actes et établit par ces actes des conditions d’effectuation et des effets spécifiques. En gros, si vous voulez, un régime de vérité, c’est ce qui détermine les obligations des individus quant aux procédures de manifestation du vrai ». Foucault avance ici, dans la dynamique de sa réflexion sur l’art de gouverner et de se gouverner soi-même, une conception paradoxale de la vérité, l’associant à un régime politique. Il précise alors pourquoi il est légitime selon lui de développer la notion de régime de vérité. Dans la même retranscription, on peut lire plus loin sur la même page, une série de questions qu’il se posent à lui-même : « Que veut dire l’adjonction de cette notion d’obligation par rapport à la notion de manifestation de la vérité ? En quoi la vérité oblige-t-elle, outre le fait qu’elle se manifeste ? Est-il bien légitime de supposer qu’au-delà ou en deçà de ces règles de manifestation, la vérité oblige ? ». Foucault, en s’interrogeant sur son propre concept va alors montrer, mais en changeant d’optique presque constamment, que ce qui lui importe (concernant notamment la normativité scientifique) c’est la distinction entre l’acte de dire « c’est vrai » et ce qui oblige à dire « je m’incline ». Qu’on soit logicien ou non, intellectuel ou non, ce qui engage un sujet dans sa réponse n’est donc pas dû pour Foucault, à une conséquence logique d’une vérité propositionnelle énoncée, mais au fait qu’il acquiesce par un acte de langage, à une proposition qui se présente à lui comme une vérité donnée. On peut avancer alors, avec Foucault, qu’un sujet inscrit culturellement dans l’histoire se constitue par un régime de vérité, qui lui permet d’établir un certain rapport à soi à partir de la constitution d’une éthique. Seule donc, la constitution d’une éthique permet pour Foucault, à la fois : un « exercice de soi sur soi », l’« élaboration de soi par soi » et la « transformation de soi par soi ».
6 Le Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) fondé en 1971, représente plus de 450 structures parmi lesquelles la grande majorité des CDN (centres dramatiques nationaux), des SN (scènes nationales), des CCN (centres chorégraphiques nationaux), de SN (scènes conventionnées), des lieux de production et de diffusion des arts du cirque et des arts de la rue, etc.
7 Le Synavi (Syndicat National des Arts Vivants) regroupe les employeurs du secteur du tiers-théâtre public subventionné, il a été créée en 2003. L’organisation regroupe actuellement 616 adhérent.es, dont 170 nouvelles structures.
8 Rappelons que l’activité du spectacle vivant est présente en France dans 7 200 théâtres privés, qui permettent aux 6000 compagnies et plus qui disposent officiellement de la licence d’entrepreneur du spectacle, ainsi qu’aux troupes d’amateur, de faire jouer leurs créations. Des centaines de spectacles sont donc créés et diffusés chaque année, répartis en une pluralité de formes, de genres et de pratiques.
9 ASTP, Rapport d’activité 2022, p. 30. https://www.artcena.fr/sites/default/files/medias/Rapport%20d%27activite%CC%81%202022-ASTP%20pour%20diffusion-MD.pdf