Par Mathias Simons (Ateliers de la Colline)
Depuis la fin 2019, les dernier.es fondateurs et fondatrices des Ateliers de la Colline sont parti.e.s à la retraite et une nouvelle génération d’artistes, de régisseurs, de chargées de projets, de productrices, de diffuseuses, de communicantes, d’administratifs… ont pris le relais1. Personnellement, j’ai travaillé avec ce Collectif depuis la fin des années 1980 et je tente d’assurer la transmission des fondamentaux de la Compagnie tout en étant curieux et à l’écoute des orientations proposées par la nouvelle équipe.
La question du collectif est au centre des préoccupations des Ateliers de la Colline. Des origines jusqu’à sa re-fondation actuelle, la Compagnie oblige les membres du groupe à éprouver les joies et les difficultés de construire ensemble un vaste projet culturel. Ceci concerne à la fois la manière de créer des œuvres avec et pour notre public jeunesse mais aussi la manière de conduire la Compagnie dans tous ses aspects.
L’histoire des Ateliers de la Colline, ses origines, ses développements, ses succès, ses contradictions internes, la transmission de son patrimoine aux nouvelles générations est en quelque sorte une recherche permanente de travailler et créer ensemble pour être fidèle à des objectifs d’engagement : poser, au moyen du théâtre, les jalons d’une démocratie culturelle à destination de la jeunesse et particulièrement de la jeunesse négligée par les pouvoirs en place. L’outil étant le théâtre, celui-ci doit faire advenir des récits susceptibles de construire symboliquement de nouvelles manières de vivre ensemble pour les enfants.
Cette aspiration à une authentique démocratie passe par les rapports que les membres de la Compagnie veulent entretenir entre eux. En quelque sorte s’appliquer à soi-même ce que l’on souhaite pour notre public. Depuis près de 45 ans d’existence de notre collectif, l’hégémonie culturelle a changé. Si au milieu des années 1970, le travail en communauté était courant et encouragé, l’offensive néo-libérale des 40 dernières années a lourdement combattu ces aspirations.
Pourtant, depuis une décennie, un besoin de plus en plus pressant de collectif se fait sentir chez les jeunes créateurs et créatrices. Ces jeunes hommes et jeunes femmes sont aussi celles et ceux de la génération qui reprend le flambeau des Ateliers de la Colline. Un retour sur l’histoire ancienne et contemporaine de notre collectif peut contribuer à ouvrir des réflexions sur le « créer ensemble » pour ne pas renoncer à ce que la culture soit une stimulation émancipatrice pour tous et toutes dans un monde de plus en plus sombre.
L’héritage : un fonctionnement communautaire
Il est impossible ici de décrire exhaustivement ce qu’ont été 45 ans de vie de compagnie et de créations avec et pour les jeunes. Cependant, à son origine, le Collectif s’est donné quelques orientations incontournables que la nouvelle génération s’est appropriées tout en y apportant ses innovations.
Les Ateliers de la Colline sont nés à la fin des années 1970 dans une compagnie de théâtre-action, le Théâtre de la Communauté. Si, à partir du début des années 1980, les Ateliers de la Colline se sont « spécialisés » dans le Jeune Public, s’ils se sont structurés en compagnie indépendante, s’ils ont coconstruit avec d’autres le réseau du Théâtre Jeune Public en Belgique francophone, ils sont néanmoins restés fidèles aux objectifs généraux que s’assignait leur compagnie sœur de théâtre -action : le théâtre est un moyen de construire la démocratie culturelle et non une fin en soi. La pratique de ce théâtre implique de chercher à mettre en critique les réalités sociales que vivent les enfants, de représenter par des images et des récits les injustices qu’ils subissent afin d’augmenter la conscience des processus inégalitaires et si possible agir dessus dans le réel.
Le Collectif s’est implanté et travaille à Seraing, ville au passé chargé, berceau de la révolution industrielle, cité ouvrière du charbon et de la sidérurgie ayant connu, au 20e siècle, de nombreuses vagues d’immigration venues extraire et transformer les richesses du sous-sol. Ville qui a connu plus tard le déclin industriel dû aux délocalisations de la mondialisation. Bref, un lieu marqué par deux siècles de capitalisme sous toutes ses formes, entraînant inégalités criantes et exploitations.
Parmi ces inégalités, celles de la culture : historiquement, peu ou pas d’offres dans ces quartiers ouvriers. Peu ou pas de récits concernant la population qui y vit. La culture est savante. Le théâtre se donne dans des bâtiments somptueux, au centre de la grande ville d’à côté, avec des comédien.ne.s qui déclament bien souvent dans une langue soutenue sur une scène, dans des costumes étranges. Ils et elles jouent des récits codés. Le plus souvent des histoires anciennes, bourgeoises. En tout cas, c’est globalement l’image à la fois caricaturale et entretenue (parfois involontairement) qu’une bonne partie de la classe ouvrière a du théâtre comme de l’opéra. Les tentatives heureuses de décentralisation des années 1960-1970 ont du mal à s’implanter à Seraing. Se rendre au théâtre à Liège est intimidant. Peu ou personne de toute façon ne les y encourage. Reste alors la culture de masse. La télévision et maintenant les réseaux sociaux.
Quelle vision du monde se dégage alors de tout ceci ? Comment faire pour que soit entendue la parole des enfants et des jeunes notamment, qui ont bien des choses à dire ? Comment collaborer avec elles et eux pour qu’ils et elles inventent leurs culture propres, singulières mais aussi une culture qui peut résonner de façon universelle ! Ils et elles ont tant de choses à exprimer, sur leurs conditions de vie, leur milieu social mais aussi sur leurs jeux, leur existence quotidienne, leurs loisirs, leurs plaisirs, leurs désirs, leurs intuitions d’autres mondes.
Il faut trouver un moyen de divulguer ces paroles cachées, ces énergies créatrices que le modèle dominant ignore. D’où la nécessité pour les Ateliers de la Colline d’être au plus proche des réalités, d’être sur le terrain. De pouvoir créer avec les jeunes dans leurs propres quartiers. Et s’ils ne peuvent venir dans les salles de répétition, aller chez eux, sur les places publiques avec des chapiteaux. Ou se déplacer devant chez eux dans un bus aménagé en théâtre. Dans cet esprit d’engagement, les Ateliers de la Colline se sont donné deux missions centrales :
- Créer des spectacles AVEC les jeunes et les enfants (Ateliers en écoles ou hors écoles / Sur le terrain)
- Créer des spectacles POUR les jeunes et les enfants (joués par des adultes entre autres dans le réseau des centres culturels)
Après 45 ans, la nouvelle équipe fait le choix de demeurer à Seraing et poursuit la quête du projet culturel avec les jeunes précarisés. Mais bien des choses ont changé. Les usines ont fermé, le chômage s’est étendu, la population s’est transformée, les rapports de force se sont accentués, de nouvelles vagues d’immigration sont arrivées. La révolution numérique a fait exploser l’offre culturelle de masse. L’ordre dominant s’est renforcé, la mondialisation s’est accélérée, le climat s’est détérioré… Ce qui n’a pas changé d’un iota, ce qui a même empiré, ce sont les inégalités flagrantes, les déclassements multipliés, l’aliénation culturelle. La Compagnie doit alors inventer des outils appropriés à l’époque qu’elle vit.
Ancrage et mouvements
Fondation
A l’origine, le groupe des Ateliers de la Colline est composé de plasticiens, d’un designer industriel, d’une infirmière urgentiste, d’un enseignant, d’une mère de famille nombreuse, d’un metteur en scène… qui mènent des spectacles avec et pour les enfants. Les créations se construisent de façon collective dans l’héritage du théâtre d’intervention. Chacun.e apporte son expérience, ses vécus, ses anecdotes. Il n’y a pas de « chef » mais un des fondateurs qui est aussi metteur en scène2 coordonne les écritures après des séances d’improvisations et les propositions de chacun.e. Les décisions artistiques se prennent à l’unanimité. Les comédien.n.e.s qui jouent les spectacles ne sont pas passé.e.s par les écoles de théâtre. Ils et elles apprennent ensemble « sur le tas ». L’urgence et la nécessité de leurs combats déterminent les formes empruntées. Un théâtre populaire, militant, engagé.
Le réalisme des situations dramatiques prédomine. Les influences des méthodes brechtiennes et du théâtre-action sont très présentes. Le metteur en scène Jean Lambert utilise les ingrédients du théâtre didactique et épique pour les créations avec les comédiens-animateurs qui sont aussi des amateur.e.s dans le sens noble du terme. Le jeu distancié vise à développer l’esprit critique des jeunes spectateurs et spectatrices sur leur réalité sociale. Il permet aussi aux acteurs et actrices qui jouent dans ces spectacles de livrer leur vision critique de la société qu’ils et elles connaissent particulièrement bien car ils et elles proviennent majoritairement des quartiers ouvriers de Seraing ou d’autres banlieues environnantes. Le réseau du Théâtre Jeune Public n’existe pas encore structurellement. Lorsque les Ateliers de la Colline y participeront plus tard, ils diviseront le milieu du théâtre mais affirmeront aussi leur identité.
Ouvertures et développements
Au fil de son évolution et de ses succès, le Collectif a dû se spécialiser, faire appel à des professionnels du théâtre. Sans renier les fondamentaux artistiques des débuts, il fallait chercher de nouveaux langages scéniques. Ouvrir les horizons artistiques. Parler des réalités sociales mais en convoquant d’autres formes, de nouvelles métaphores. Éviter la sclérose et la répétition tout en maintenant les richesses thématiques des premières années. Mais aussi poursuivre l‘affirmation d’une patte « Ateliers de la Colline » tant sur le fond que sur la forme.
Ainsi, de nouveaux metteurs et metteuses en scènes, des acteurs et des actrices, venues d’horizons divers et/ou des grandes écoles d’art – principalement le Conservatoire Royal de Liège – sont venus se frotter aux fondateurs et fondatrices. Un apprentissage mutuel s’est développé. Mais la création collective sur des sujets « de terrain » reste la règle imposée par les fondateurs et fondatrices de la Compagnie. Les discussions collectives préalables aux créations restent de mise. Les décisions finales concernant les lignes directrices se prennent ensemble. Les anciens de la Compagnie transmettent leurs façons de fonctionner et découvrent en retour de nouvelles pratiques théâtrales provenant des métiers du théâtre.
Ainsi les artistes « extérieurs » apprennent des expériences des anciens. L’engagement de ces «extérieurs» se fait d’ailleurs sur cette capacité à travailler en collectif. Les anciens – quant à eux – apprennent des nouveaux à complexifier leur art dans toutes ses dimensions. Un échange subtil se crée. Un lien durable se tisse entre la Compagnie et de nombreux artistes issus du Conservatoire de Liège – metteurs en scène, actrices et acteurs. Certains de ces artistes deviendront récurrents puis permanents dans la compagnie. C’est clairement mon cas. Au fil des années, les passerelles entre les deux institutions ne cessent de se multiplier. Le théâtre pour le jeune public s’enseigne dans l’École supérieure par le biais d’artistes de la Compagnie et celle-ci bénéficie en retour des expériences innovantes des jeunes artistes de l’école y compris de leurs aspirations à créer en groupe sans metteur en scène omniscient. La façon de créer en collectif aux Ateliers de la Colline s’enrichit grandement de ces apports mutuels.
Si les réalités sociales des enfants et des jeunes de Seraing demeurent toujours le point de départ des créations, la Compagnie élargit cependant ses thématiques. Le dialogue entre générations au sein de l’équipe tout autant que l’évolution du monde et les métamorphoses des modèles dominants obligent le Collectif à explorer de nouvelles problématiques. Certaines concernent l’intime chez l’enfant (crainte de l’abandon, deuils et pertes de repères, peurs d’autrui, interrogations sur l’origine des parents, sur l’altérité…), d’autres, le contexte familial (séparation des parents, précarités économique et culturelle des familles, absence des parents due au travail, chômage subi…), d’autres encore les pressions du monde social, de l’école, des médias (fabrique du consentement, scolarité difficile, difficultés d’insertion et racisme à l’école, aliénation à la consommation, conformité à l’ordre dominant…). Ces sujets s’élargissent pour toucher des dimensions plus générales, voire universelles. Mais ils prennent toujours naissance sur le terrain, à partir de l’observation de cette jeunesse défavorisée. En d’autres termes, si ces nouveaux sujets concernent au final tous les enfants, leur origine a bien été puisée au cœur des groupes sociaux « défavorisés par la naissance ». C’est ce qui fait la singularité.
Cette évolution, depuis les débuts des Ateliers de la Colline, a pour conséquence la multiplication des formes théâtrales explorées. Le réalisme ou le théâtre brechtien n’est pas abandonné mais il est complété par des recherches dramaturgiques et esthétiques variées. Emploi de marionnettes, aspects de comédie farcesque, onirisme et fantastique, métaphores animales, esthétiques futuristes, théâtre invisible, théâtre en extérieur, inventions de contes et légendes, introduction de la vidéo… Le fond impose la forme. Tel est le mot d’ordre de la compagnie. Ces explorations des sujets inventant de nouvelles formes sont le résultat des mises en commun des expériences artistiques des différents membres de la Compagnie, des permanents et des extérieurs. Elles ont largement contribué à rendre concrètes les créations collectives, la manière d’écrire ensemble.
Ces innovations concernent fortement la nouvelle génération actuelle qui poursuit ce travail collectif d’ouverture aux nouvelles formes et nouvelles thématiques.
Une nouvelle-ancienne compagnie : refondation
La Compagnie aujourd’hui est composée d’artistes sortis des grandes écoles d’acteurs et d’actrices et des universités pour les postes de production/ diffusion/ communication/ administration, des Centres culturels et du travail sur le terrain pour la régie et la technique. Leur engagement s’est fait sur le partage des valeurs que revendique la Compagnie depuis sa fondation mais aussi sur la sensibilité artistique de chacun.e. et sur une demande de conscience globale du projet. Les artistes issus de l’ESACT de Liège et devenu.e.s permanent.e.s aux Ateliers de la Colline ont un langage commun, une pratique de la création collective éprouvée et une connaissance des œuvres antérieures de la Compagnie. Les liens tissés depuis des années facilitent la communication et l’engagement. Ces artistes – pour une part – sont d’ailleurs entré.e.s dans la compagnie en créant des spectacles Jeune Public au sein de l’ESACT.
Pour les postes plus administratifs et techniques, les nouvelles personnes arrivées ont, par leur passé, leur formation et leur vision du monde, compris organiquement ce que cherchait la Compagnie. Elles et ils ont bien évidemment été engagé.e.s pour leur compétences inhérentes aux postes recherchés (Production / diffusion. Gestion culturelle /Budget / Technique / Régie / Communication…). Mais il se trouve que toutes ces personnes – aussi diverses soient-elles – ont des pratiques artistiques avérées. Soit dans l’écriture, soit dans le théâtre amateur, soit dans la dramaturgie ou encore dans les arts plastiques, graphiques et musicaux. Ainsi, ces talents favorisent la cohésion de l’équipe, alimentent les créations collectives nouvelles et les ateliers avec les enfants. Dans la configuration actuelle de l’équipe, une part artistique est donc ouverte à chacun et à chacune. Et les artistes sont invités à ouvrir leurs points de vue et leur travail sur la conduite de la Compagnie dans tous ses aspects. Nous affirmons que chaque activité de la Compagnie – de la production au budget en passant par la gestion journalière, la planification technique, la diffusion, la communication – concourt directement à la construction artistique. Création collective veut bien dire cela. Aucune activité n’est cloisonnée et tout rétroagit sur tout.
La difficulté est de trouver les cohérences organiques entre tous ces pôles, c’est pourquoi la Compagnie doit se former de manière permanente. Concrètement, un régisseur peut – le temps d’un spectacle – devenir comédien s’il en montre les aptitudes. Il est épaulé par d’autres si nécessaire ; une actrice peut s’initier à la régie et à la technique, une diffuseuse/productrice peut participer à l’écriture de spectacles, une comédienne peut coordonner les ateliers en école et s’occuper du budget etc. On part du principe que chacun.e possède plusieurs cordes à son arc et que le déplacement des tâches peut enrichir la Compagnie en utilisant toutes les potentialités de ses membres. Il n’y a bien sûr pas d’obligations. Et cela suppose à la fois un désir, une possibilité concrète dans le temps et l’espace, des compétences dans le domaine exploré et une capacité de la part de la Compagnie de s’entraider par des formations et des compagnonnages. Ces pratiques d’échange sont un ciment pour les créations collectives.
La jeune génération propose de nouvelles thématiques à partir de ses propres observations. Les sujets politiques sont à l’intersection de l’universel et du très singulier. Ils correspondent à l’évolution du monde : la globalisation du néo-libéralisme où les tensions politiques locales ont des répercussions mondiales. Le dérèglement climatique par exemple, fruit des activités humaines, provoque des inondations dans nos vallées et ce sont les enfants les plus précaires qui en souffrent le plus. Mais les sujets de harcèlement, de la violence scolaire, du rejet des nouveaux migrants, du suicide chez les ados, des dominations patriarcales, des ravages du dérèglement climatique ne sont plus tabous. Nous avons le sentiment que les sujets « pour les enfants » concernent aussi les adultes. Car la question de l’avenir et de la survie de l’humanité entière est en jeu. Ainsi, la jeunesse, en dialogue avec les anciens sur le terrain, continue de façonner une dramaturgie qui concerne les enfants défavorisés mais qui interpelle aussi l’humanité de façon plus universelle.
Pour ces sujets sensibles, des formes interdisciplinaires sont convoquées. On combine les genres, on mélange les styles. Vidéos, chœur collectif, théâtre musical, mélange de théâtre d’objets et de fables animalières, mélange de théâtre épique, réaliste et onirisme…
Quelques principes récurrents et revisités
Égalité des membres : chacun jouit d’un pouvoir et d’un salaire égal quelle que soit la fonction qu’il occupe.
Un Projet de Démocratie culturelle : le projet global de la Compagnie comprend des dimensions artistiques, culturelles, sociales et possède une visée « politique » au sens large du terme. Il est crucial que chaque membre permanent s’engage dans le projet dans son ensemble. Certes, chaque individu possède des compétences particulières mais il doit aussi adhérer à l’ensemble de la démarche.
Créations collectives : les Ateliers de la Colline agissent et créent en collectif, c’est-à-dire que la Compagnie n’est pas au service d’un Maître ou d’un artiste qui fait carrière et qui impose des choix dramaturgiques ou esthétiques.
Le vécu des jeunes comme matériau : les créations de spectacles se font à partir des réalités du terrain. Sauf à de très rares exceptions, il s’agit donc de créations originales impulsées, écrites, jouées, mises en scène par le Collectif et par le collectif élargi, celui-ci étant composé d’artistes et techniciens engagés pour un projet spécifique. Les « extérieurs » intègrent provisoirement le Collectif et partagent les valeurs culturelles et artistiques de la Compagnie. Dans l’immense majorité des cas, on ne part donc pas d’un texte d’un auteur ou d’une autrice écrit par avance.
Façons de fabriquer : artistiquement, le Collectif échange de manière régulière et les idées de chacun.e sont écoutées (personne ne sait tout et chacun sait quelque chose). A partir des ateliers faits en écoles ou hors écoles et de l’observation de la vie des enfants sur le terrain ou à partir de l’expérience personnelle, un sujet de création peut émerger de différentes façons : une indignation partagée sur un événement observé concernant les enfants, une anecdote, un fait divers, un extrait de texte, un film mis en relation avec un événement, une bd évocatrice, bref des sources et matériaux qui semblent urgents à faire advenir. Le Collectif organise des réunions de brainstorming qui cimentent le projet. Il se met d’accord sur une direction à prendre puis se répartit la distribution du projet selon les spécialités de chacun.e. Une fois le sujet cerné, le Collectif met en place un dispositif d’ateliers pour entendre la parole des enfants et vérifier la pertinence du sujet. La forme arrêtée pour la création se construit petit à petit.
Accompagnement du collectif : les répétitions des spectacles maintiennent un lien tout en respectant les compétences et spécialisations de chacun. Chaque membre permanent, quels que soient son poste ou sa fonction, est invité à venir voir les étapes de travail des projets et donne son avis. Le regard de chacun.e s’aiguise par la pratique. Les décisions artistiques finales sont cependant laissées aux responsables désignés antérieurement lors de la distribution.
Fonctions mobiles : les glissements de fonctions sont possibles voire encouragés. Selon les dispositions de chacun.e, la possibilité est offerte de se déplacer et de contribuer artistiquement aux créations selon ses désirs et ses aptitudes. Cela suppose des formations internes, un compagnonnage. Inversement, les artistes sont encouragés à prendre part à la conduite de la Compagnie dans tous ses aspects. Le projet de la Compagnie est un tout dont les parties interagissent constamment les unes avec les autres afin que le tout soit plus que la somme des parties.
Conditions de production et subventionnements : il est nécessaire de créer des cadres de production qui facilitent le déploiement d’un projet sur une longue durée avec des temps de répétitions importants. Il en résulte un travail par étapes avec des bancs d’essai occasionnant les retours de chaque membre de la Compagnie ainsi que ceux, précieux, du public. Travailler en collectif demande des temps d’échanges et de maturations qui permettent d’aller plus loin dans les recherches dramaturgiques et esthétiques. De surcroît, chaque création est différente. Nous cherchons à adapter les conditions de production en fonction de la nature variable des projets. Certains de ces projets nécessitent des recherches particulières impliquant des résidences, des récoltes de témoignages, l’organisation de conférences de spécialistes, l’accumulation de documents de tout ordre, des rencontres à l’étranger… bref, nombre d’activités enrichissant la création en cours mais qui nécessitent temps et argent. Dans cette perspective, nous voulons échapper aux conditions de production traditionnelle et réductrice où le metteur en scène a tout à dire et où on réalise un spectacle en 7 semaines avant de jouer une seule et unique série de représentations.
Professionnalisation des travailleur.euse.s : la « philosophie » générale de la Compagnie s’accompagne de la volonté de professionnaliser ses membres sur le long terme : que chaque tâche soit rémunérée à sa juste valeur. Le collectif ne repose pas seulement sur la passion et l’abnégation. La sécurité de l’emploi pour les permanent.e.s est un élément essentiel pour le travail en groupe. Par ailleurs, dans un souci d’égalité et de collectif, chaque membre permanent de la Cie est engagé au même barème et reçoit donc un salaire égal. Seule l’ancienneté influe sur les montants salariaux.
Pour les artistes et techniciens engagés ponctuellement sur les projets, il en va bien sûr de même. Les répétitions, les directions d’ateliers sont payées ainsi que toute autre activité demandée par la Compagnie. Pour les salaires payés aux extérieurs nous nous référons à la commission paritaire 304 en usage dans le secteur artistique3.
Que le voyage continue…
Les Ateliers de la Colline ont traversé près de cinq décennies. Compagnie pionnière du théâtre jeune public en Belgique, elle est née au milieu des années 1970 dans une ancienne épicerie de la rue de la Colline à Seraing, lieu porteur d’histoires des gens de la banlieue industrielle. Elle a traversé bien de turbulences historiques, politiques, sociales, artistiques. Elle a connu des crises existentielles à plusieurs reprises. Les spectacles qu’elle a créés, à la fois avec les enfants et pour les enfants, ont rencontré de grands succès sur les scènes nationales et internationales.
Depuis quelques années, elle a réussi sa mutation et la transmission de ses objectifs à une nouvelle et jeune équipe qui imprime à son tour sa marque artistique et culturelle avec talent et engagement. Si elle a pu se maintenir si longtemps c’est sans doute par la conviction que l’art, et le théâtre en particulier, peut contribuer à transformer le monde, à le rendre plus juste et permettre à la jeunesse de rêver un avenir meilleur. La volonté opiniâtre de bâtir, avec les enfants et les jeunes des groupes sociaux défavorisés, les fondements d’une démocratie culturelle a toujours donné l’énergie de surmonter les nombreux obstacles qui se sont dressés sur sa route. La nouvelle dynamique en place aujourd’hui, à la fois fidèle aux fondements et riche en innovations, laisse à penser que le collectif peut encore concerner, interpeller, faire rêver de nouvelles générations d’enfants et de jeunes. Que ce voyage perdure encore dans ce siècle bouleversé sans oublier d’inventer de nouvelles lois, de nouvelles voies, de nouveaux choix !
L’auteur
Auteur, metteur en scène et pédagogue à l’École Supérieure d’Acteurs du Conservatoire de Liège, Mathias Simons est directeur des Ateliers de la Colline.
1 Membres permanents des Ateliers de la Colline en janvier 2025 : Gauthier Bilas – Marie-Camille Blanchy – Lola Contessi – David Coste – Aline Dethise -Rita Di Caro – Odile Julémont – Alice Laruelle – Mathias Simons et Coline Vrancken.
2 Les fondateurs des Ateliers de la Colline : Dino Corradini- Roger Dehaybe – Jean-Henri Dreze – Jean Lambert – Liliane Kox – Jacqueline Lemoine – Daniel Lesage – Claude Micheroux – Henri Pirotte – Dominique Renard. Dino Corradini – Jean Lambert – Dominique Renard furent les artistes et animateurs et animatrices principaux de la Compagnie pendant 4 décennies rejoint fin des années 1980 par Mathias Simons. Jean Lambert, après des études de mise en scène à l’INSAS s’engage au Théâtre de la Communauté puis devient le coordinateur des écritures et metteur en scène des premiers spectacles des Ateliers de la Colline.
3 CP 304 : Commission paritaire qui régit les salaires des travailleurs des arts dramatiques et de la scène pour la Fédération Wallonie Bruxelles / Communauté française.