Par Georges Kondis (Université de Péloponnèse)

Mais comment raconter ces odyssées innombrables ?

Combien de nouveaux petits théâtres faudrait-il inventer pour donner à chaque destin affolé son éphémère hébergement ?

Mais comment notre théâtre peut-il transporter ces coquilles de théâtres et ces brins d’êtres humains sur son océan de bois et de toiles ? C’est tout un peuple occasionnel d’étrangers disparates et menacés que forment ces atomes fuyant sous les rafales politiques, dans nos siècles cousus de fils barbelés.

« Qu’allons-nous devenir ? » disent ceux qui ont laissé leur nom, leur famille, leurs racines très loin derrière eux, noblement les « voyageurs ».

(Hélène Cixous, « Le Dernier Caravansérail », Extrait du programme, Théâtre du Soleil, dir. Ariane Mnouchkine).

Le passage … d’une scène à l’autre

Durant la dernière décennie, l’aggravation de la situation migratoire surtout en Méditerranée, a provoqué des fortes tensions politiques à l’intérieur des pays dits de « première ligne » (Grèce, Italie, Espagne), mais aussi à l’intérieur de la Communauté Européenne. Les pays européens se sont trouvés face à des dilemmes contraignants en raison des afflux massifs des immigrés. A certains égards, les tentatives des passages organisés en territoire européen ont provoqué de vives tensions frontalières qui engendraient le risque d’une confrontation militaire. Tel est le cas des évènements à la frontière nord (Evros) entre la Grèce et la Turquie en 2020. Des milliers des réfugiés ont été amenés à cette frontière suite à la fausse nouvelle d’une ouverture des frontières et de la possibilité de désormais voyager vers l’Europe librement. Durant deux mois, de février en mars 2020, une guerre hybride avait éclaté à cette frontière européenne avec le recours des polices et des armées, guerre qui se reproduisit quelques mois plus tard aux frontières de la Biélorussie avec d’autres pays de la C.E. (Pologne, Lituanie, Lettonie), avec moins d’intensité mais selon la même logique.

Une autre tentative, réussie cette fois, mais qui a provoqué de vives réactions en Italie et partout en Europe, concerne l’arrivée en une seule journée (le 14 septembre 2023) de plus de 7.000 réfugiés dans la petite île italienne de Lampedusa. Les deux jours suivants, le nombre des réfugiés s’est élevé à 8.500 dans une population locale qui ne dépasse pas les 6.500 habitants.

Ces deux incidents majeurs ont alerté extrêmement les opinions publiques et les gouvernements européens. Mais ils ont aussi constitué un champ politique propice à la propagande de l’extrême- droite voulant créer la peur et l’anxiété à cause des « envahisseurs ». Une première solution de « répartition équitable » des réfugiés dans les pays membres de l’U.E.  a créé de nouvelles frictions politiques. Entretemps, la mer Égée et la Méditerranée se sont transformées en cimetières pour des milliers d’êtres humaines qui ne vont jamais achever le passage.  L. Dospinescu remarque à ce propos que « nous vivons quotidiennement l’expérience d’un monde en détresse, des valeurs humaines qui s’effritent, d’une humanité en perte de repères. Le monde peine à résister sous le poids de tous ces désastres humains, de ces “catastrophes humaines »1. Il ne faut pas oublier que ces problèmes ont aussi tourmenté les relations entre le Royaume-Uni et la France, avec des centaines des réfugiés installés dans des campements de fortune du Pas-de Calais.

Face à des milliers de gens en détresse, les États européens se sont sentis menacés, tandis que les différents groupes de l’extrême droite ont trouvé l’occasion de promouvoir leur agenda raciste et xénophobe. La montée de l’extrême droite aux dernières élections dans une série des pays européens (Autriche, Hollande, Allemagne) ont poussé les gouvernements à adopter des politiques peu compatibles avec l’esprit des procédures communautaires (p.ex. la libre circulation-espace Schengen). Tel est le cas de la décision du gouvernement allemand de « fermer » ses frontières à l’accès des personnes hors C.E. A cette occasion la ministre fédérale allemande de l’Intérieur Nancy Faeser avait déclaré que le gouvernement renforce « la sécurité interne en poursuivant la lutte contre l’immigration clandestine ».   Nous rappelons que cette décision a été prise en septembre 2024, deux semaines après l’attentat perpétré à Solingen (attaque au couteau des participants au « Festival de la Diversité ») et au lendemain de la percée historique du parti d’extrême-droite AfD lors d’un scrutin régional.

D’autre part, des substituts au « rêve » d’une autre vie dans un pays riche, commencent à se répandre dans les sociétés qui vivent des crises économiques et politiques profondes et des conflits sanglants. C’est le cas de la loterie américaine (US Green Card Lottery) qui est adoptée par les autorités canadiennes et maintenant se répand en Afrique et ailleurs. « En Guinée » comme le signale dans son étude Elara Bertho (2019 : 208)2, « il y a énormément de gens qui jouent à cela, qui ont envie de vivre le rêve américain à partir de cette loterie de la Carte verte. En novembre, tout le monde s’inscrit. Ce rêve de migration est présent partout chez les jeunes aujourd’hui et la loterie est un motif réel ».

D’innombrables analyses politiques, économiques et sociales ont mis au jour les différentes composantes de ce sujet et prouvent que l’immigration n’est pas qu’angoisse, détresse ou situations problématiques, comme le veut une certaine propagande, mais qu’elle a bien des aspects intéressants surgissant à l’entrecroisement de l’innovation et de la diversité (Papadopoulou, 2022)3.  Des programmes liés à cet aspect de la question ont commencé à être élaborés dans différents pays européens (par exemple, le Danemark) avec des résultats très prometteurs4. Mais le problème n’est pas pour autant résolu et des réponses d’urgence devraient concrétiser la volonté politique et sociale de ne pas céder aux sirènes de la haine, de la peur et de la xénophobie.

L’immigration. Une réponse politique et culturelle

Face à la montée de l’extrême droite et aux incidents sanglants contre les réfugiés en Grèce et partout en Europe, les milieux démocratiques (intellectuels, universitaires, artistiques, politiciens, etc.) ont réagi tant par des actions de solidarité et d’entraide que par la mise en action des programmes éducatifs et culturels.  Le théâtre s’avère, dans ce cas, l’espace par excellence d’une libre expression, de contacts, de connaissance et de compréhension mutuelle et en même temps, le meilleur laboratoire d’apprentissage civique. Malgré la perte progressive de sa capacite structurante de l’espace public, le théâtre reste une pratique sociale « qui émane de la société et est intégré à ce que la métaphore du ’’tissu social’’ met en exergue » (Delhalle, 2016 : 24)5.  Ainsi, le théâtre renoue avec l’espace public tant dans le cadre de la culture que dans celui de l’action sociale. Dans certains cas, comme en Grèce, il revit parce qu’il arrive, grâce à ce rôle d’action sociale, à se lier avec l’école et devient un excellent moyen d’expression sociale et de conscientisation. Ainsi, face aux problèmes de l’immigration et à l’angoisse sociale qu’ils provoquent, le théâtre permet un dialogue public sur ces thèmes et, en même temps, permet une prise de conscience du problème dans la société et dans les milieux des immigrés eux-mêmes (Samir Hadj Belgacem)6. Mais, s’il est clair que les conditions et le contenu de la représentation de « l’étranger » en Europe ont fortement changé, tout comme les conditions politiques du travail artistique sur la scène théâtrale (Azadeh Sharifi)7, il ne faut pas perdre de vue que ce dialogue au niveau des institutions et de la société concerne surtout l’espace européen. A. Sharifi cite l’exemple suivant, sans pour autant le placer dans un cadre d’examen plus général, chose faite dans le discours de l’extrême droite :

« Federal Democratic Union of Switzerland formed the Swiss people’s initiative “Against the Building of Minarets”.  In the referendum carried out in 2009, the Swiss people opted for a ban on minarets. This decision triggered an international debate which resulted in lawsuits before the European Court for Human Rights on grounds of infringement of the basic right to religious freedom and the principle of non-discrimination», (op.cit.: 331).

Bien sûr, il existe de véritables enjeux politiques qui enveniment les relations entre États, surtout dans l’axe nord-sud, notamment la volonté des pays du nord européen de transformer les pays du sud en camps de concentration.  C’est ainsi que l’action humanitaire pour sauver les vies en péril en mer Egée et en Méditerranée, comme le remarque Appoline Meyer (2018)8, « ne fait qu’atténuer le volet sécuritaire du durcissement des frontières, sans pouvoir se substituer à une solution intervenant en amont pour préserver ces vies ».

Revenons alors sur la réponse que les acteurs sociaux donnent par l’intermédiaire du théâtre aux avatars des politiques européennes et aux angoisses et peurs cultivées dans le corps social européen par les discours populistes et surtout par les discours xénophobes et de haine de l’extrême droite.

Νous avons dès le début de ce texte, avec la référence au Caravansérail du Théâtre du Soleil, signalé le rôle des acteurs et de la scène du théâtre qui est, en fait, un rôle profondément social et politique, c’est-à-dire un engagement de défense des idéaux démocratiques et de droits de l’Homme. Nous rejoignons ici la position de la professeur N. Delhalle (2016:136)9 concernant le théâtre engagé « porteur d’une mission éthique » et exerçant à propos d’une série des grands thèmes socio-politiques, « un rôle particulier a l’égard du public avec lequel il se lie dans une sorte de contrat moral ».

Partout en Europe, mais aussi partout dans le monde, le théâtre, qu’il soit considéré comme un théâtre d’intervention ou un théâtre militant, a pu promouvoir le dialogue public et donner de véritables réponses, de compréhension et d’entraide, aux situations difficiles créées par les flux migratoires mais aussi par d’autres problèmes sociaux10. En ce qui concerne le militantisme, fortement développé dans les quartiers défavorisés des grandes villes européennes ou dans les pays d’origine (africains, arabes, etc.), Samir Hadj Belgacem (op.cit. : 40) signale que l’évolution des thématiques « renseigne également sur les transformations des luttes politiques entre un théâtre  s’adressant aux travailleurs immigrés à des fins de mobilisation et un théâtre des enfants d’immigrés s’ouvrant sur des problématiques telles que les conflits familiaux, les conditions de vie des femmes et de la jeunesse des cités, et invitant au militantisme en relayant la mémoire des luttes ». Le passage a une certaine « terre promise » est d’une durée incertaine et toujours douloureuse a toutes les étapes : au départ comme à l’arrivée.  Les effets d’exclusion et de marginalisation au pays d’accueil sont d’autant plus douloureux pour les gens tant que la déception par rapport à la réalité sur la « terre promise » est grande11. Toute la problématique de la conception et de l’organisation des cités HLM français se trouve dans cette déception vécue. Le « théâtre populaire de l’immigration »12 que d’autres chercheurs mettent en valeur, exprime justement les effets de cette déception.

Pourtant, nous avons développé la certitude d’après-guerre 1940-1945 que la nouvelle société ne pourra et ne voudra plus reproduire les atrocités de la guerre. Or la guerre en Ukraine, le nouvel épisode d’une série noire de guerres et de massacres d’après-guerre, nous rappelle que rien n’est réglé au niveau mondial des institutions comme au niveau de la psychologie et des instincts catastrophiques de l’humanité.  Dans une étude sur la notion de tragédie et sur ses représentations scéniques, Nicoleta Popa Blanariu13 (2023 : 56) note en préliminaire :

« Les anciens Grecs se défendaient contre l’angoisse de l’absurde en la remplaçant par la doctrine de la fatalité, non moins inquiétante : quel qu’hostile qu’il soit, le destin s’inscrit dans une logique infaillible qui règne dans l’univers. C’est la logique du conflit entre la volonté subjective de l’individu et les lois implacables (Ἀνάγκη, « Ananke ») auxquelles il doit se soumettre et auxquelles même les dieux ne peuvent se soustraire ».

L’auteure conclut après l’examen de quelques mises en scène14 :

« Au fil des siècles et presque partout dans le monde on retrouve les mêmes expériences de malheur liées à la violence, la guerre, l’exil, la perte des proches, aux discriminations et persécutions de toute sorte…. Tout particulièrement, l’exil et la guerre constituent, à mon avis, l’un des noyaux essentiels du mythe tragique et d’une histoire des catastrophes humaines à n’en pas finir. D’où la récurrence et l’importance de la figure de l’étranger dans tant de créations littéraires et théâtrales, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours… » (op.cit. : 71).

Ainsi, le passage de la scène politique à la scène du théâtre les trente dernières années a été marqué par une riche production d’interventions théâtrales partout en Europe sur les thèmes de l’immigration, de l’exil, de la violence. Au Royaume-Uni, déjà en 1990 avec « Europe » de David Greig et en 2000 avec « Kebab » de Gianina Carbunariu, on présente les questions concernant les relations avec les « nouveaux venus » et les populations européennes ainsi que les questions d’identité qui sont à la base de toute une série de conflits souvent sanglants. Ce qui est intéressant avec ces deux pièces est la possibilité que le théâtre offre aux « étrangers » de s’exprimer sur scène. On passe de la présentation souvent protestataire à la présentation des gens eux-mêmes, de leur vie, de leur itinéraire, et surtout de la manière dont ils perçoivent la terre d’accueil et ses habitants (Aggelopoulos : 2021 :89)15. La présentation des expériences de vie par les acteurs eux-mêmes offre ainsi une nouvelle voie d’expression et d’intervention, notamment dans la longue histoire du théâtre français (Fernanda Areias de Oliveira, 2021)16. Des mouvements au niveau du théâtre européen ont ainsi été organisés et des espaces d’expression théâtrale ont été multipliés. Le MIT (Migrants in Theatre) au Royaume-Uni se fixe comme objectif la lutte pour que les artistes immigrés puissent s’exprimer de manière libre car ils « contribuent au développement économique et social du pays et font partie de la société et de la communauté théâtrale britannique »17. De la même manière, le projet « Goal » de Cantieri Meticci de Bologne (Italie) opte aussi pour l’organisation d’un théâtre qui offre la possibilité aux artistes immigrés de s’exprimer par « leur langue et leur vécu personnel »18. D’autre expériences ont enrichi ce mouvement théâtral comme le Globe Aroma (Belgique, 2002), Amaka (Grèce, 2008), RIC (Refugee Impulse Club, Berlin/Germany, 2013), Sydney Theatre Company (2016), Parastoo Theatre (Malaysia, 2017) et beaucoup d’autres, sans oublier les institutions éducatives comme en Grèce ave « Le Théâtre dans l’Éducation » (2015), c.-à-d., la coopération de l’Education Nationale avec une Organisation non Gouvernementale afin de promouvoir le théâtre en tant qu’outil de conscientisation des élèves et des parents sur tous les niveaux éducatifs. Ces dernières années, l’accent est mis sur les femmes refugiées, sur leurs conditions de vie durant le « passage » et leur arrivée, en « terre promise ». Selon Sedef Ecer (2022)19: « La dangerosité de la place du corps des femmes en mouvement, dans l’espace public dont on parle de plus en plus. Un corps féminin qui circule librement est la négation même de la soumission, est un esprit qui refuse la condition de victime, la réclusion ». On évoquera aussi les expériences menées dans le cadre du programme Grundtvig (action Ardiadne4art, en collaboration avec l’Association des femmes africaines en Grèce) de Christina Zoniou et Giana Papadopoulou20 (Université de Péloponnèse/Centre des Arts et de l’Education Interculturelle « Osmose ») concernant le dialogue interculturel et le renforcement psychologique des femmes réfugiées.  L’action Ariadne consistait à renforcer, par l’intermédiaire du théâtre et de l’art, l’adaptation interculturelle des femmes immigrées en Grèce. Les femmes qui ont participé à l’organisation d’une équipe de théâtre-forum provenaient des différents pays, surtout africains dont : Zimbabwe, Siéra Leone, Ethiopie, Somalie, USA, Albanie et Grèce.

Et si c’était toi?

En Grèce, la réponse des acteurs à la xénophobie et au racisme, a visé surtout le secteur de l’éducation. En même temps, elle s’est inscrite dans une synergie théâtrale très active entre trois pôles : l’enseignement scolaire (de l’école maternelle au Lycée), le théâtre universitaire et les théâtres régionaux et nationaux. Un accent particulier a été mis sur l’espace scolaire, car les écoliers se montrent plus sensibles aux questions des droits de l’homme, des réfugiés, de l’entraide sociale et de la solidarité. Parallèlement, les élèves activent leurs parents, leurs proches et les communautés locales, à travers les représentations théâtrales scolaires et les rencontres théâtrales interrégionales. Parmi les différents programmes théâtraux présentés figurait « La migration multicolore du papillon» et surtout le programme intitulé « Ça pourrait être moi – ça pourrait être toi » qui se poursuit actuellement. C’est donc par l’intermédiaire du Réseau hellénique pour le Théâtre dans l’Éducation, en collaboration avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le soutien de l’Organisation internationale intergouvernementale IDEA que se poursuit, depuis février 2015, l’objectif d’organisation d’un réseau théâtral dans les écoles primaires, secondaires et d’éducation des adultes pour la mise en œuvre du programme « Ça pourrait être moi – ça pourrait être toi » à travers le pays. Le programme s’adresse avant tout aux enseignants et aux élèves mais aussi aux parents et aux organisations locales qui œuvrent sous le principe du respect des droits de l’homme Govas, 2018)21.

Le programme vise à :

  • sensibiliser les enseignants et les étudiants aux droits de l’homme et aux questions de réfugiés à travers l’organisation des ateliers de formation et des séminaires
  • soutenir les écoles et les enseignants qui mettent en œuvre des programmes similaires avec des techniques d’enseignement basées sur le vécu et l’utilisation de techniques de théâtre éducatif.

A l’exception du grand vide 2019-2021 dû a la crise de la covid, le réseau a une présence très active dans l’ensemble du pays. Pour mieux encadrer le programme et avoir des impacts concrets, le Réseau pour le théâtre dans l’éducation organise des séminaires appropriés pour les enseignants qui vont, à leur tour, dans leurs écoles, mettre en œuvre les thématiques pour les droits des Hommes, la Démocratie, l’entraide et la solidarité, etc. Parallèlement, le réseau offre de nombreux séminaires de travail expérimental pour les jeunes et organise des Festivals d’étudiants et des Journées d’Action durant lesquelles les participants présentent des pièces de théâtre-forum où les réfugiés participent.  On organise donc des actions communes avec les réfugiés et d’une manière générale, on essaie de sensibiliser les citoyens. Il faut souligner que des personnes expérimentées, qui poursuivent une formation continue donnée par le Réseau hellénique pour le Théâtre dans l’éducation, ont la responsabilité des séminaires et des journées de sensibilisation. Selon les données officielles, depuis 2015, plus de 400 écoles dans tout le pays ont participé aux programmes, plus de 3.000 enseignants ont été formés aux objectifs et à l’organisation des actions qui s’inscrivent dans le cadre de « Ça pourrait être moi – ça pourrait être toi », tandis que le nombre d’étudiants qui participent dépasse les 7.000.

Le succès de cette action et la multitude des thèmes qui ont été abordés sur tout le réseau scolaire, étaient basés sur un profond travail de documentation22 qui a mis à jour et placé à la disposition des enseignants et des élèves un nombre considérable de documents sur l’immigration (données statistiques et historiques, textes, photos, etc.). L’accent a été mis sur l’expérience grecque d’immigration au début du 19e et tout au long du 20e siècle ainsi qu’aux évènements de l’Asie Mineure (1914-1922) qui ont constitué une catastrophe nationale et un traumatisme collectif majeur. Ainsi, la documentation a su faire revivre dans la mémoire et la conscience collective, les moments durs de l’exil d’un million et demi de Grecs d’Asie-Mineure et les énormes difficultés qu’ils ont rencontrées pour refaire leur vie, une nouvelle vie dans un pays qui était en même temps familier et étranger. Il s’agissait de revoir l’histoire à tous les niveaux de l’éducation ainsi qu’avec le public au sens large. Il s’agissait aussi d’un travail passionnant qui, pour emprunter les mots de la professeure N. Delhalle, offrait la possibilité au théâtre de se profiler comme « documentant » son moment historique23. De même, les récits de vie et les documents multiples sur l’immigration des Grecs, aux États-Unis, en Australie, en Allemagne24 etc., ont servi de base pour aborder le sujet de l’immigration.

Des questions plus spécifiques et plus graves ont été posées, surtout à propos des enfants non accompagnés ou de ceux qui ont été sauvés en mer mais dont les parents ont péri. La question a été traitée déjà avec les « Monologues de Gaza » entre 2008-2009 en collaboration avec le théâtre Ashtar de Palestine25. Le projet26 a mobilisé des étudiants jusqu’à 17 ans qui ont écrit leur propre expérience et leurs pensées durant la guerre de Gaza entre décembre 2008 et janvier 2009.  L’exemple des « Monologues de Gaza » a servi de base pour la production des « Monologues de la mer Égée » et tous deux sont très significatifs de l’interaction entre groupes de théâtre universitaires. Pour les « Monologues de Gaza », une production du Théâtre Ashtar de Gaza, les textes ont été traduits en différentes langues, dont le grec, et les étudiants, surtout des universités d’Athènes et de Thessalonique, se sont mobilisés pour la représentation avec l’aide de professeurs et d’animateurs formés. Au début, les monologues ont été présentés dans huit villes grecques mais très vite, ils ont tourné dans plusieurs autres villes et ont été repris par des groupes scolaires de théâtre mais aussi par des groupes amateurs d’associations professionnelles. Ces monologues ont été présentés aussi à New York sous l’égide de l’ONU.

Le Réseau Hellénique pour le Théâtre dans l’Éducation, réalise depuis 2016, un nouveau projet sous le titre « Monologues de la mer Egée » qui concerne les groupes d’adolescents qui sont parvenus à arriver en Grèce. De nationalité surtout afghane, marocaine, syrienne, égyptienne, iranienne et pakistanaise, ils ont été regroupés dans des camps d’accueil. Pris en charge par des éducateurs formés, ils ont participé à des groupes de théâtre et ils sont arrivés, par des techniques de jeux –théâtre d’ombres, psychodrame ainsi que des techniques d’écriture créative –, à produire un corpus de 28 textes où ils racontent les causes de leur départ, leur voyage, mais aussi leurs rêves, leurs peurs et leurs désirs. Le livre en grec et en anglais a été distribué partout dans le monde gratuitement.

Si l’éducation primaire et secondaire a ici constitué un espace prioritaire, le Théâtre Universitaire a réalisé, en parallèle et en relation avec les deux autres niveaux d’éducation, une série de productions qui ont été présentées soit dans l’université d’où étaient issus les étudiants ou dans d’autres régions. Le théâtre universitaire s’était fortement impliqué dans les actions de sensibilisation en créant des évènements de théâtre de rue, par exemple. Au nord du pays, l’Université Aristote de Thessalonique, outre sa propre production théâtrale, a élaboré des projets éducatifs d’approche des réfugiés en leur offrant des possibilités de participation à des séminaires et des ateliers de création théâtrale. En outre, une constante interaction et des partenariats avec le Théâtre National de Thessalonique, enrichit encore les projets, les actions et les expériences du théâtre universitaire au nord du pays.

Ainsi, la production « Après le camp » du Théâtre National a été basée sur la documentation produite par les ateliers de théâtre destinés à 17 enfants réfugiés de 14-16 ans qui vivaient dans les camps proches de Thessalonique. Ces ateliers annuels ont démarré en 2018 et ont été encadrés par le metteur en scène Michel Sionas, deux éducateurs formés au théâtre, un psycho-dramaturge et trois acteurs. La production a été présentée pour la première fois dans le cadre du Festival International du Théâtre « Le futur de l’Europe » qui était le résultat d’une coopération entre plusieurs organismes de théâtre européens.

« La menace », est un autre exemple de résultat du partenariat entre théâtre régional, universitaire et amateur.  « La menace » est une production du Théâtre régional de Kozani qui a voyagé partout en Grèce et a été produite à Nauplie grâce à la coopération du Département des études du théâtre de l’Université de Péloponnèse et d’un théâtre amateur de la ville sous la direction du Professeur Yiannis Leontaris.  Pour la mise en scène, la commune de Lesbos, l’ile qui a reçu le plus grand nombre de réfugiés ces 10 dernières années, a offert quelques 200 gilets de sauvetage.

Cette même coopération inscrit déjà un certain répertoire de représentations au niveau régional. Parmi ces représentations, « Les bébés » concerne les enfants qui ont été sauvés en mer et dont l’histoire a fait le tour du monde grâce aux femmes âgées du village d’accueil, nourrices des enfants, connues sous le nom « Grands-mères de Lesbos ». « Les bébés » ont été joués dans un petit théâtre en plein air au pied de l’imposante forteresse vénitienne de Nauplie. La pièce est une production locale mais elle a suscité beaucoup d’émotion et de discussions.

Enfin, dernier exemple dans une longue série de projets et de pièces de théâtre, le « Projet d’intégration et d’aide multiple aux jeunes refugiés » a été organisé entre 2017-2019. L’objectif était, par le moyen du théâtre, d’aider les participants à développer leur créativité et leur imagination, leurs réseaux sociaux, leurs compétences linguistiques et leurs capacités de communication. En outre, il visait à les aider à surmonter leur sentiment d’isolement et à développer un sentiment d’appartenance. Enfin, il s’agissait aussi de familiariser ces réfugiés avec la culture locale et de créer des lignes de communication entre la population réfugiée et la communauté locale. Parallèlement, un service de conseils juridiques, économiques, d’emploi, etc. a été mis en œuvre pour les participants.

Nous n’avons pas de statistiques prouvant l’impact de ces actions pédagogiques et théâtrales. L’impact est en fait mesuré par la multiplication des actions d’entraide et de solidarité partout dans le pays, mais aussi par la fervente protestation contre le parti politique d’extrême droite « Aube doré » qui a été déclaré hors la loi tandis que ses chefs et certains de ses parlementaires étaient emprisonnés. Les évènements politiques récents en Europe ne laissent aucun espoir que nos démocraties ne sont plus en danger. Bien au contraire !  Peut-être faut-il repenser aux bonnes vieilles idées comme celle d’un Théâtre du Peuple de Romain Rolland27,  un théâtre qui relie l’action politique dans la société et l’action dans le monde de l’art à la lumière de conditions sociopolitiques nouvelles.

L’auteur

Georges Kondis est né à Athènes. Il est sociologue, anthropologue et docteur en Sciences Sociales de l’Université Catholique de Louvain. Il participe à des groupes de recherche sur la micro-histoire des sociétés, ainsi que sur la mise en valeur des archives (p.ex. communautaires, familiales) et de la mémoire sociale communautaire. Il a donné cours dans l’enseignement secondaire, dans l’enseignement pour Adultes et dans des institutions universitaires (Université d’Égée et Université de Péloponnèse). Il a été Coordinateur du Centre Départemental de Péloponnèse pour l’Éducation. Actuellement, il enseigne à l’Université de Péloponnèse (Faculté des Beaux-Arts – Département des arts du spectacle et arts numériques).

1 Liviu Dospinescu. (2023). « Enjeux esthétiques et pragmatiques de la représentation de la catastrophe humaine », Représentations de la catastrophe humaine en littérature et arts de la scène, ed. Alma Mater/Université « Vasile Alecsandri », 50 (11-29).

2 « Théâtre et migrations. Entre Conakry et Paris », Propos recueillis par Elara Bertho Dans Multitudes 2019/3, n° 76 (207-211). DOI 10.3917/mult.076.0207

3 Christina Papadopoulou. Διαπολιτισμικότητα: Το κλειδί για την πολιτιστική ολοκλήρωση, (Interculturalisme: la clé de l’intégration Culturelle). In Μετανάστες και Πρόσφυγες στη σύγχρονη δραματουργία και τη Σκηνική Πράξη, (p.p 31-37). Πρακτικά Β΄Θεατρολογικού Συνεδρίου. (Επιμ) Τ.Καράογλου, Ν.Αλιφέρης, ΠΕΣΥΘ. Ευρασία.

4 Une intéressante recherche au niveau européen : Véronique Bontemps, Chowra Makaremi, Sarah Mazouz. (2018). Entre accueil et rejet: Ce que les villes font aux migrants. Bibliothèque des frontières.

5 « Réaffirmer le théâtre comme espace et temps publics. Pour une alternative démocratique ». Alternatives Théâtrales. 128 (20-27).

6 « Le théâtre au service de la cause immigrée (1970-1990) », Plein Droit, 2016/ 109 (36-40). doi 10.3917/pld.109.0036.

7 Azadeh Sharifi. (2017). « Theatre and Migration Documentation. Influences and Perspectives in European Theatre », in Manfred Brauneck (ed), Independent Theatre in Contemporary Europe. Structures-Aesthetics-Cultural Policy. (321-415). doi:10.14361/9783839432433-005.

8 « Babel. La mort aux frontières de l’Europe ». in Hommes et migrations. http://journals.openedition.org/hommes migrations/7925 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.7925

9 « Le théâtre politique comme paradigme », in Florent Gaudez (dir). L’art, le politique et la création. La création artistique subversive. t.2 (135-143). Harmattan.

10 A ce propos la présentation de Christina Oikonomopoulou (prof. du Théâtre francophone à l’Université de Péloponnèse : Η εθελούσια εξορία ως πράξη αντίστασης στις κοινωνικό-πολιτικές αυθαιρεσίες της γενέτειρας: δραματολογικές προσεγγίσεις έργων των Αλγερινών γαλλόφωνων θεατρικών συγγραφέων Slimane Benaissa, Habib Tengour και Fatima Gallaire, (L’exil volontaire comme un acte de résistance à l’arbitraire socio-politique du lieu de naissance: approches dramatiques des œuvres des auteurs français algériens Slimane Benaissa, Habib Tengour et Fatima Gallaire). Ιn Μετανάστες και Πρόσφυγες στη σύγχρονη δραματουργία και τη Σκηνική Πράξη, (p.p 99-112) Πρακτικά Β΄Θεατρολογικού Συνεδρίου. (Επιμ) Τ.Καράογλου, Ν.Αλιφέρης, ΠΕΣΥΘ. Ευρασία.

11 Les exεmples à propos de ces situations sont presqu’infinis. Récemment, il y a eu une nouvelle vague des publications d’archives sur les Harkis et les conditions inhumaines de leur installation en France. Malgré les dernières décisions du gouvernement français concernant le rétablissement de la vérité historique a propos de leur rôle dans le conflit algérien et une indemnisation économique conséquente, la blessure morale collective est très profonde et s’exprime aussi sur la scène du théâtre : « L’art de perdre » de Sabrina Kouroughli (2017), « Et le cœur fume encore » d’Alice Carré et Margaux Eskenazi (2019), « Chœur de Harkis » de Lucien Maillard – Jean Grimaud (2019), etc.

12 Il s’agit, par exemple, du Théâtre Nedjma de l’algérien Moussa Lebriki qui vit en France depuis 1962. L’auteur, Achmy Halley met l’accent sur les effets d’une acculturation traumatisante surtout des jeunes de la deuxième génération (dite « génération beur ») qui font l’objet de plusieurs pièces du Théâtre Nedjma. (« Du théâtre de l’immigration a la scène « beur » : l’exemple du Théâtre Nedjma. », Jeu, 73 (103-106).

13 « Entre-Dieux, identité exilique et tragédie de l’histoire : figures littéraires et stratégies de représentation scénique », in  Représentations de la catastrophe humaine en littérature et arts de la scène, ed. Alma Mater/Université « Vasile Alecsandri », 2023, 50 (55-73).

14 Les Suppliantes d’Eschyle ; Hécube, Les Troyens, Andromaque, Médée dans le Supplients d’Euripide ; Enéide de Virgile ; Ulysse d’Odyssée d’Euripide ; Les Syriennes des mers de Lilia Bitar ; Les Danaides, Silviu Purcarete à partir des Suppliantes D’Eschyle ; Exil au pays de l’oubli, à partir de Benjamin Fondane.

15 H μετατόπιση της οπτικής ως προς του μετανάστες: δυο παραδείγματα από το βρετανικό θέατρο. (Le changement d’optique par rapport aux immigres : deux exemples du théâtre britannique). In Μετανάστες και Πρόσφυγες στη σύγχρονη δραματουργία και τη Σκηνική Πράξη, (p.p 83-90) Πρακτικά Β΄Θεατρολογικού Συνεδρίου. (Επιμ) Τ.Καράογλου, Ν.Αλιφέρης, ΠΕΣΥΘ. Ευρασία.

16 « Migration in French Théâtre History: traces of a theatricality in expansion», Textura, v.23, n.54 (230-248). https://doi.org/10.29327/227811.23.54-13

17 Migrants in Theatre are here to fight for better representation of migrant theatre artists in Britain, to say who they are, what they can offer, and what actions they would like to see enacted to create really structural and cultural change. MIT encourages the British theatre industry to become allies in building a more inclusive, diverse and outward looking theatrical sector… (https://migrantsintheatre.co.uk/wp-content/uploads/2021/08/MIT-Creating-a-Thriving-Environ ment-for-Migrant-Theatre-Artists-in-the-UK-2020.pdf).

18 Central to this new artistic project was the desire to reflect the increasing heterogeneity of local and global society through the active involvement of migrants and refugees, by giving voice to their languages and personal stories. This solidified into a direct goal of developing new (inter)cultural practices. (https://ec.europa.eu/migrant-integration/integration-practice/cantieri-meticci-refugee-theatre-company_en).

19 Entretien réalisé par Marie Poinsot sous la rubrique Repérages à propos du spectacle : « E-passeur.com, un spectacle d’anticipation sur les migrations ». Hommes & migrations, 1337/2022, mis en ligne le 01 janvier 2024 URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/14069 ; DOI : https://doi.org/10.4000 /hommes migrations.14069.

20 Διαπολιτισμικός διάλογος και ενδυνάμωση μεταναστριών γυναικών με μέσο το Θέατρο (Dialogue interculturel et renforcement des femmes refugies par l’intermédiaire du théâtre). In Μετανάστες και Πρόσφυγες στη σύγχρονη δραματουργία και τη Σκηνική Πράξη, (p.p 65-79) Πρακτικά Β΄Θεατρολογικού Συνεδρίου. (Επιμ) Τ.Καράογλου, Ν.Αλιφέρης, ΠΕΣΥΘ. Ευρασία.

21 « Κι αν ήσουν εσύ; » 2015-2018 ένα πρόγραμμα για τα ανθρώπινα δικαιώματα και τους πρόσφυγες με τεχνικές θεάτρου, Εκπαίδευση και Θέατρο, (“Et si c’était toi?”. 2015-2018 un programme pour les Droits de l’Homme et les réfugiés avec des techniques théâtrales). Εκπαίδευση και Θέατρο, 19 (138-143).

22 Une approche du travail fait par Nasia Choleva, Η χρήση ντοκουμέντων στο θεατροπαιδαγωγικό πρόγραμμα «Κι αν ήσουν εσύ;», (L’utilisation des documents au programme pédagogique et théâtrale  “Si c’était toi?”. Εκπαίδευση και Θέατρο, 18 (52-57), 2017.

23Ainsi, le divertissement qu’est le théâtre dominant au 19e siècle peut-il aujourd’hui être documente en tant que représentation idéologique de la société de son époque. En ce sens, le théâtre se profile comme « documentant » son moment historique. Mais tout théâtre n’est-il pas à la fois documentant et documenté ?”  La société au miroir du divertissement théâtral. Argument. Programme du Colloque RITU 40. Liège, 8-10 novembre 2023.

24 C’est par exemple l’analyse de Lila Maraka. (2021).  Από τον φτωχό νότο στον πλούσιο Βορρά: Η ενδοευρωπαϊκή οικονομική μετανάστευση της δεκαετίας του ’60 στη δραματουργία της Γερμανίας ως χώρας υποδοχής και της Ελλάδας ως χώρας προέλευσης, (Du pauvre sud pauvre au riche nord : l’immigration économique intra-européenne des années 1960 dans la dramaturgie allemande en tant que pays de réception et celle de la Grèce en tant que pays d’origine). Ιn Μετανάστες και Πρόσφυγες στη σύγχρονη δραματουργία και τη Σκηνική Πράξη. (p.p. 131-141). Πρακτικά Β΄Θεατρολογικού Συνεδρίου. (Επιμ) Τ.Καράογλου, Ν.Αλιφέρης, ΠΕΣΥΘ. Ευρασία.

25 Iman Aoun. (2016). Το Θέατρο του Καταπιεσμένου και η κοινωνική αλλαγή στην Παλαιστίνη, (Le théâtre des opprimés et le changement social en Palestine). Εκπαίδευση και Θέατρο, 17 (78-83).

26 N.Govas. (2011). Ανταποκρίσεις «Μονόλογοι απ’ τη Γάζα».  (Correspondances, Gaza Mono-Logues).   Εκπαίδευση και Θέατρο, 12 (54-59).

27 Nancy Delhalle, (2017). « Du théâtre du peuple au théâtre populaire : catégorie institutionnelle et esthétique ». In :  Usages du peuple. Savoirs, discours, politiques. Dir. Emilie Goin, Francois Provenzano, Collection : Situations. Ch. 3, pp. 47-64. Presses Universitaires de Liège.

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